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6 octobre 2010 3 06 /10 /octobre /2010 18:35

Observations :

 

A l’ouverture du film, deux femmes en blanc dansent dans un espace qui semble aménagé pour un rituel de sacrifice, un truc chelou, une sorte de rite de purification que l’on déduit de la blancheur des robes qu’elles portent. La chorégraphie s’effectue sous une musique planante, déstructurée, à base de percussions, de cloches, de flûtes. J’attends qu’une vache entre dans le cadre et me prépare à exercer mon pouvoir de police pour la salubrité publique (L2122-2 Code général des collectivités territoriales). La vache ne vient pas. Encore une occasion ratée. Une sorte de voix-off diffuse une complainte, puis des pleurs, puis des rires, puis les deux emmêlés. Le ton est ne laisse pas indifférent. Dans sa danse, une des femmes fait semblant de se pendre. L’ouverture est saisissante. Le jeu sonore est peut-être trop peu exploité dans le cinéma : la montée en volume attrape presque toujours aux tripes.  

 

Suite du texte de mardi dernier (cliquez ici

 

 

 

Puis l’habituel plan de rivière, des petits jouent au bord des rives. Belle photo de carte postale sur une fin de journée : les couleurs rougissent sous l’effet rôtissoire du soleil couchant ; le ventre vide, je m’évoquais un poulet fermier qui achevait sa cuisson rotative. Putain, j’ai la dalle. En parlant de poulet, une tortue avance lentement. Je sentais que le film serait essentiellement silencieux, la suite ne m’a pas donné tort : putain j’ai faim.

Générique.

 

 affichegd

 

 

 

LAND OF SCARECROWS

(au cas où tu ne l’aurais pas compris)

 

 

Première image ? Un épouvantail baddant. Où l’immédiateté narrative du cinéma que la littérature peine à reproduire. A travers une vitre, un enfant dont on fait les préparations mortuaires, la trav’ semble être la personne qui fait ces préparations : on a complètement du Failan dans cette image. Comme une cadence battue sur un navire phénicien, les images se succèdent, il s’agit de s’accrocher. Très vite le thème « central », sans constituer le centre du film, apparaît par le gigantisme d’une plaine vide, un panneau planté au premier plan : « ici, future décharge ».

 

Dur - on saisit le propos sans s'éclater les méninges :

 

ð  Corée du sud = polluée = sombre = stérile / Philippines = naturelle = lumineuse = fertile

 

Damned. C’est dommage ; ça m’énerverait presque tiens : le film est très beau mais j’ai peur qu’on y débite de grosses conneries. Jang Ji-young (la trav’, ci-après « T ») a un délire bizarre avec des bocaux dans lesquels elle insère des objets divers, qu’elle fait mariner dans une eau - polluée ?- comme des cornichons de fer et des anti-pastis industriels. Dans ces bocaux, elle semble exprimer ses émotions du moment et ce qu’elle vit. Ce sont des sortes de témoignages.

 

  ð  Bocal intitulé : « tears_#63-1996 » - dans le genre je-raconte-ma-vie, c’est plutôt laconique.

 

En même temps, à heures précises, elle prend des médicaments parce qu’elle risque de devenir stérile. Ailleurs, c’est meilleur (YEAH !). Aux Philippines, l’image est beaucoup plus lumineuse. Devant la télé, deux jeunes filles regardent une émission diffusant un mariage. Ce pays est représenté comme tourné vers la Corée du Sud.

                 

Rain (ci-après désignée « P ») se coiffe pour aller préparer son « mariage de rêves » avec un « prince charmant sud-coréen ». Elle se retrouve dans une sorte d’office d’arrangement où les questions sont autrement plus fonctionnelles que les gentilles poufferies de l’émission de TF1 (cf. « a-t-elle le sida ? ») ; bref face à la révolte que peut susciter ce Tournez-manège trash, une chose rassure : l’être humain, dans sa misère, est le même en tous points du globe ; on pourra toujours s’en prévaloir, le cas échéant, pour une révolution future. 

 

Entre les deux, Loi-tan (ci-après désigné par « SCP », sud-coréen philippin, et non société civile professionnelle), enfermé dans un mutisme édifiant. SCP est embauché pour travailler dans un resto mais se fait bien vite virer. Un type sur la lune, un inadapté. A sa mère, à qui il demande qui est son père adoptif, cette dernière lui répond « tu n’as qu’à penser que ton père est mort ». Sympa : kimkidukesque. A partir de là, nous assistons à une sorte de ritournelle narrative en trois notes : la T, la P, et la SCP. Trois temps, comme une valse anglaise.

 

T veut aussi aller aux Philippines : elle semble l’exprimer par son - « chang, Ji_Suk#2.2005 »-. Là-bas, elle rencontre P. Invitée dans le foyer de P, la famille se met en scène pour l’arrivée de la  T : une sorte de remake de J’irai dormir chez vous = folklore facile et nourriture adaptée.  

 

D’où la question qui s’impose : les cultures sont-elles communicables ? Face à un élément extérieur, les cultures ne se mettent-elles pas en scène ?

 

ð  Misère du tourisme / Chimère des ruptures / Le voyage reste intra-muros.

 

Une fois en Corée du Sud, P participe du mythe de la gentille princesse immigrée  – elle se coiffe avec son petit miroir de Barbie, assise au bord du lit, sage comme une image, comme une immigrée. Toutes les histoires sont des drames, l’immigration est une épreuve difficile. Le rêve des déplacés : édifier un Panthéon des immigrés, Vito Corléone y trônera comme le plus grand chacal que les routes internationales ont transporté.

 

 

statulib

Give me your tired, your poor,

Your huddled masses yearning to breathe free,

The wretched refuse of your teeming shore.

Send these, the homeless, tempest-tost to me,

I lift my lamp beside the golden door!

Emma Lazarus

 

 

ð  Rapport cinéma / journalisme : encore et toujours, pas de grandes œuvres avec de bons sentiments. Le journaliste prendra sa plume pour dire que le sort réservé aux immigrés est injuste, au nom de vagues concepts humanistes. Le cinéaste s’en abstiendra. L’œuvre d’art finit toujours, en dernier ressort, par insulter quelqu’un : le cinéaste devra donc sublimer la société politique. Là où le journaliste traitera le sujet en termes de masses et de grands principes, le cinéaste répondra par du singulier, du remarquable, de la technique de précision. Le cinéaste a le devoir moral de ne pas chialer, de se montrer stratège.

 

deniro

(Venge-les tous Robert)

 

Entre la Corée du sud et les Philippines, chacun cherche sa place. Les vautours, les ordures planent autour. Le problème qui lie les trois est certainement celui de la vision, de la visibilité, du fait de se donner à voir. Tiens, Super-Rhizome, aide-moi, quel lien improbable et intéressant puis-trouver ?

 

orch1

(Super-Rhizome sur le point de trouver une idée)

 

ð   Super-Rhizome : « Hum, les équipes de football d’Espagne et de Corée du Sud ont un maillot rouge…non…c’est faible…voilà mieux, pourquoi les Philippines n’ont-elles pas changé le nom qu’elles ont reçu en l’honneur de Philippe II d’Espagne ? Le lien est tout trouvé : ce sera Les Menines de Velázquez. »

 

menines-02

(Qui est le sujet de ce tableau ?)

 

Ce tableau pose la question de la subjectivité : qui voit qui ? Qui est agissant ? Qui est objet ? Le réalisateur semble exploiter ces paradoxes, à deux moments particuliers du film : tout d’abord lorsque la T est devant son miroir et qu’elle enroule des bandages pour cacher ses attributs féminins ; elle se détourne d’elle-même. Dans le miroir en face duquel elle se trouve, lequel est tourné vers le spectateur, son reflet n’apparaît pas pour nous, alors qu’elle semble bien s’y voir. Ce reflet inexistant pose la question de l’intrusion : qui est invité ? Qui est autorisé à voir ? Qui agit ? A qui appartient l’image ? Le second passage méninesque intervient lorsque SCP, cherchant son père, demande à la T, qui se trouve dans une loge, si elle a une idée de l’endroit où il pourrait se trouver. Le plan est pris de l’intérieur de la loge, la caméra étant tournée vers la lucarne, vers l’extérieur de la loge. Dans l’espace ouvert par la lucarne, on voit le visage du SCP qui demande le renseignement à la T. Sauf qu’en plus, un miroir, à l’intérieur de la loge, faisant face au spectateur, est tourné vers le visage – la bouche plus précisément –, de la T, laquelle est de dos par rapport au spectateur. On voit la réaction gênée de la T dans le petit miroir ; mais encore une fois, pour qui se joue la scène ? Qui est l’intrus ? Les miroirs démultiplient les points de vue, les rendent tous solubles dans l’acte de vision : les frontières sont effrangées, le film pourrait exister sans spectateur.

 

ð  Plus Ménines tu meurs… / Congrats Mr Roh !

 

pollution_en_chine.jpg

 

Glauquisme bon enfant des épouvantails, générosité des barils déversés. Le film fait la part belle à l’ordure, aux déchets. Les illustrations font florès :

 

-          Une vieille filmée de dos. Elle a des morbacks. Elle se gratte c’est dégueulasse. Un médecin, lors d’un examen médical, la sent : c’est dégueu. (vous souvenez-vous du professeur Giro de Natural City) ;

 

-          La T est presque stérile à cause de la pollution. Le médecin lui conseille d’utiliser une machine à mesurer la pollution avant d’utiliser certains aliments ;

 

-          Le SCP se trouve sur un banc avec un clochard qui lui annonce la fin du monde : « une tragédie va frapper », « le sol pue et donne la nausée », « les enfants vont être les premiers à être malades » : panier à course de l’Apocalypse ;

 

-          La T dit que les ordures lui ont déréglée les hormones, ce qui fait qu’elle se sent homme ;

 

-          La vieille se bat contre une autre femme au prétexte qu’elle verse ses déchets devant sa maison ;

 

-          La T va voir un gourou chelou qui lui parle d’eugénisme, de mutations génétiques, et lui suggère de manger des oignons et des gousses d’ail et de passer un an à la montagne pour réguler ses hormones ;

 

-          Une émission télé évoque une possible mutation génétique en parlant de la carpe à visage humain (OH NON ! ONCLE BONMEE, DEGAGE DE LA !).

 

 

 


(Le Gay Fish, ou les ravages de la pollution)
   

 

Pollution. Pollution. Pollution. Pollution. PollutioN.

Quid de la génération wifi, la première à baigner complètement dans les ondes ? Ne pas dormir près de son téléphone portable, etc. Mais la mutation n’est-elle pas le propre de la vie : nous perdons notre petit orteil, qui s’en alarme ? Qui crie au scandale ? Qui s’est arrêté de consommer ? L’homo sapiens sapiens n’est pas la fin de l’homme. Et finalement, pour pousser le raisonnement jusqu’au bout, l’homme est-il le début et la fin de la vie ? La conséquence dernière des gazes, des molécules, des atomes, des protons, des bosons, des cordelettes vibrantes unidimensionnelles ? Bref : que la nature lance une pichenette sur l’humanité, et alors ? Si l’homme devait disparaître, plus personne ne serait là pour regretter.

 

Stratégie cosmique de la tortue : pendant que l’humanité se doigte sur son sort, le cours du temps, le long accomplissement du temps, suit tranquillement les sillions de l’hyper-espace. Que les choses poursuivent irrémédiablement leurs cours. En plus d’être un des animaux les plus lents, c’est aussi un de ceux qui vit le plus longtemps. Achille et la Tortue : vue de l’esprit paradoxale, Achille n’atteindra jamais la Tortue ; est-ce une manière de dire que les carottes sont cuites ? Triste conscience de soi-même.

 

 

 

(Achille et le torture, façon Ulysse 31, qui ouvre le dernier film de Kitano)

 

 

 

Land of Scarecrows est une collation d’image. La réalisation est franchement stylé (à ce titre, le film mérite que l’on se compromette aux alentours du Reflet Médicis - ah bin non suis-je bête c'est trop tard ! Mouhahaha). Le propos, en revanche, est peut-être moins transcendant, même si la manière avec laquelle le réalisateur ponctue ce triolisme à distance est un bel atterrissage sur les pattes.

 

 

Comme sorti d’une transe soufi, Carter San-Congo releva la tête, et par le même mouvement, crut sentir les pulvérisations sanguines remplissant ses veines. Sa décision était prise. Il s’en irait. Tout de suite, maintenant. L’urgence ne lui permettait pas d’attendre.

 

Sur de son fait, accompli pour la première fois de son existence, Carter laissa une note sur son bureau, salua ses collègues, et se promit de ne plus jamais recroiser la route d’aucun autre être humain.

 

«  Le monde dans lequel nous vivons nous ressemble, il n’y a pas de forces occultes, de mur de l’argent, de superpouvoirs malicieux ; il n’y a que du désir, de la volonté, de l’organisation, de la discipline et du travail. Les révolutions n’existent pas ; ce que l’on nomme « révolution » est toujours la conséquence fatale d’états de faits antérieurs qu’un ou plusieurs individus ont su tourner à l’avantage de la représentation qu’ils se faisaient du monde, sans jamais y parvenir totalement. Aujourd’hui, les gens qui s’accommodent des injustices ne sont pas plus condamnables que ceux qui les dénoncent dans des journaux que seuls les instruits, i.e. les privilégiés, lisent. En somme, misérable pensionnaire des sociétés développées, arrête de te toucher sur les hypothétiques figures révolutionnaires, la bolcho-pride est peut-être l’illustration la plus flagrante de l’inutilité du raisonnement romantique, exemplaire, idéal, sur l’état du monde ; sans prendre de risques inconsidérés, je n’engagerai que peu mon intégrité physique en mettant ma main à couper que les producteurs de tee-shirts Che Guevara et autres keffiés – parfois jaune, bleu, marron - doivent avoir de belles piscines à récurer à l’approche de l’été.

 

Finalement, la nature a horreur du vide, que ce vide soit physique ou juridique. Si le pouvoir peut, après dévastation ravageuse, se ramasser selon le mot fameux du Général – et Dieu sait que la Terre n’a jamais connu qu’un seul Général-, c’est surtout un joujou qu’on s’arrache. Donc, misérables humains, vous avez le monde que vous méritez ; on ne peut pas se plaindre que ce que les politiques ne représentent personne et avoir un taux d’abstention à décrêpir les cheveux d’Afro-américain. Ce ne sont pas les politiques de merde qui provoquent l’abstention, mais l’abstention qui provoque les politiques de merde. Car en dernier lieu, le peuple en toujours en faute de ne pas s’occuper de son propre sort.

 

Pour ma part, Carter San-Congo de mon état, je me retire dans l’Amazonie vivre Into the Wild, avec mes bières, mon 22 long rifle, mon harmonica, et un vaste projet de construction d’opéra. Je chasserai le crocodile, j’écrirai des poèmes. Je vous salue. »

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