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23 juillet 2011 6 23 /07 /juillet /2011 20:39

 

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The Foul King (2000), Kim Jee-woon.

 

 

 


La bande annonce déjantée

 

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Sans Congo se connecte sur Facebook. Premier statut qu’il aperçoit : « Je vais casser du pd. Homophobe et fier de l'être bande de dégénérés qui font un truc pour legitimer leur maladie. TAFIOLE ». Ouaou : encore plus sec qu’un personnage de Dieudonné. Ahuri, Sans Congo se caresse l’épaule en regardant son poster de Mylène Farmer. Il retourne devant son écran. Tiens, un peu plus bas : « J hallucine ! L autre connasse fait une machine alors que j essaie de dormir ! Putin, jvais lui peter les dents ! ». Sympa pour les dents de la connasse, mais que se passe-t-il aujourd’hui, encore une sombre histoire de conjonction des astres ? Sans Congo regarde sa peluche préférée. Un autre « est toujours sur cette putain de liste d'attente de [ses] couilles maudites... ». C’en est trop pour sa sensibilité fragile d’adolescent distrait. Sans Congo se déconnecte et allume la radio. Alain Finkielkraut parle d’un livre qu’il n’a pas lu. Dur. Sans Congo est sur le point de pleurer. Il éteint la radio et s’allonge sous sa couette Sangoku en rêvassant de la meuf dont il a cru être secrètement amoureux cette année. Mais l’aimait-il vraiment ? Il aimerait pouvoir avouer son secret à quelqu’un, en parler au moins, soulager son triste cœur fragile. Mais il a peur qu’on le traite de puceau. Depuis que son copain Joy Means Sick est en garde à vue pour avoir diffusé sur gamesdefolie.fr le sujet de maths du baccalauréat à la veille de l’épreuve – il s’était bêtement fait confondre à cause de son prénom écrit en poil pubiens qui apparaissait sur la photo -, Sans Congo se sent seul. Joy Means Sick a toujours été le chef de la bande. C’est un gars qui a redoublé cinq fois au collège. Il est déjà sorti avec une maman de 37 ans : c’est un peu le Dieu de Sans Congo. Il parle mieux que lui, il dit qu’il a lu des livres d’intellos et tout. Une fois, Sans Congo a avoué qu’il était timide. Joy Means Sick lui a dit qu’il l’avait remarqué, et lui a dit que c’était peut-être parce qu’il avait un petit sexe. Sans Congo n’osa rien dire. Joy Means Sick lui a répondu : « tu vois j’avais raison ». Joy Means Sick fait du catch. Sans Congo lui a dit qu’il croyait que c’était du faux. Joy Means Sick lui avait proposé d’inviter sa mère pour lui montrer si c’était du faux ou pas. Quand Joy Means Sick était violent comme ça, Sans Congo préférait faire semblant de ne pas avoir entendu.  

 

 

 


Sans contrefaçons, ghetto jusqu'aux os, aye

 

Avant de se faire arrêter, Joy Means Sick avait prêté The Foul King à Sans Congo. The Foul King, c’était un peu son Flic de Beverly Hills à lui. Il lui en avait parlé plein de fois. Sans Congo avait voulu lui prêter son album préféré de Mylène Farmer, Ainsi soit je…, mais Joy Means Sick refusa net, de façon brutale mais concise, et lui conseilla qu’il ne s’avisât point de tenter une nouvelle approche à l’avenir. Sans Congo n’y compris goutte. Au début, Sans Congo n’osait pas lui dire qu’il n’avait pas vu le film. Il répétait mécaniquement le pitch qu’il avait appris par cœur sur Wikipédia : « Im Dae-ho est un employé de banque non productif, qui arrive en retard chaque matin, et qui subit les agressions de son patron. Il avait beau être fan de catch à la télévision quand il était enfant, il n'arrive pas à se sortir des prises de ce dernier. Un jour, par hasard, il tombe sur une salle d'entraînement de lutteurs et réussit à convaincre l'entraîneur de lui apprendre comment se sortir des prises de son patron. Se découvrant une nouvelle passion, il décide de s'entraîner dur et de tout faire pour rejoindre l'équipe en tant que "catcheur tricheur", l'idole de son enfance... ». Un jour Joy Means Sick lui posa une question précise sur le film, Sans Congo bafouilla. Joy Means Sick lui dit qu’il n’avait jamais vu une merde pareille. Sans Congo lui supplia de lui prêter le film. Joy Means Sick accepta, non sans lui demander de l’assister pour une prise de catch. Dans ces situations là, Sans Congo avait toujours peur que la prise fonctionne mal, c’était déjà arrivé. 

 

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Joy Means Sick remonte lentement l'avenue du Général De Gaulle. Sa mère va encore gueuler, on l'avait relâché ce matin et depuis il prenait détour sur détour histoire de retarder au maximum le courroux maternel. Il broie du noir et comme souvent dans ces cas là il pense à Song Kang-Ho, son acteur préféré depuis ses 5 ans et sa première vision de The Foul King. Joy Means Sick en connait toutes les répliques par cœur, et sa scène préférée reste de loin celle de la fourchette. Joy Means Sick préfère d'ailleurs largement ce premier combat au combat final qui s'encombre de trop d'enjeux scénaristiques. Ce que Joy Means Sick aime, c'est voir Song Kang-Ho qui fait du catch, Song Kang-ho qui souffle sa poudre aveuglante sur l'arbitre au lieu de son adversaire (il se marre en pleine rue en repensant à la façon dont SKH passe d'un rire maléfique à un tête de débile en 2 secondes), SKH qui fait la position du jockey en tenant sa manche avec les dents sous le regard condescendant de Min-Young, la fille du coach dont il sait bien que comme lui SKH est secrètement amoureux (qui pourrait aimer cette connasse de Ms. Jo d'ailleurs !?)... Son cœur s'emballe, ses joues rosissent, il repense à la scène où SKH se fait laminer par Min-Young, lui aussi aimerait qu'elle lui fasse un marteau pilon. Il faut qu'il se remette au coréen.

 

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Hulk Hogan vs. The Undertaker

 

Sans Congo reçoit un texto. Surprise : c’est Joy Means Sick. « Ouaiche, je me sui échape 2 du trou sa mèr, je peu paC réQpérer The Foul King ? G l’entrjambe ki me grate ».  Chouette, Sans Congo est hyper heureux que son ami JMS soit sorti de prison, mais il ne comprend pas le lien avec son hygiène. « Vazy » lui répond-il. Sans Congo a beaucoup aimé The Foul King. Il s’est immédiatement identifié au personnage de SKH, ce héros qu’il n’a jamais osé être. D’ailleurs, il trouvait troublante la ressemblance entre son ami JMS et le patron tortionnaire de SKH. Il ne manquerait pas de le lui faire remarquer. Ce corps frêle, habile, généreux. Cette tunique ridicule, qui soulageait son cœur, lui qui se voyait contraint par son odieuse marâtre de porter des survêtements en Licra mauve-vert que même Tati n’ose pas vendre. Ah, si seulement il pouvait être aussi agile et fugace, sagace et futile que SKH. Ce SKH caméléon qui retombe sur ses pates comme un chat de 3000 tonnes avec la délicatesse d’un tour de magie. Mon dieu, Sans Congo commençait à sentir son sexe se durcir. Il s’agita dans sa chambre en essayant de penser à autre chose. Et puis le générique du film, composé d'une mélodie triste et d'images de catch, son Mistral Gagnant à lui, résonna à nouveau dans sa tête ; ce générique qui lui avait fait tout d’un coup sentir le poids des âges. Nostalgie d'adolescent, nostalgie à la fois pure, naïve et un peu glauque. Il se rappela de ses premières cassettes et des cédés deux titres. Ce générique, c’était pour lui l’expression d’un éternel enfant qui kiffait sur les Spice Girls ; et même si aujourd'hui il sait bien que c'est tout naze, ça le fait quand même frétiller. SKH lui par contre, ne sait pas que le catch c'est dépassé et ridicule, il vit son truc au premier degré, c'est sa force. C’est comme si c’était une sorte de comédie sincère. « C’est bizarre » se dit Sans Congo. N’empêche, ça doit être chiant de travailler. A voir comment ils sont traités dans cette banque, il se demandait s’il parviendrait à retenir ses larmes. Sans Congo avait un grand frère, Sans Congo Senior, qui était actuellement en stage dans un cabinet d’avocat. Le pauvre est en train de sombrer dans l’alcool. Son regard est devenu vide. « Peut-être devrais-je lui conseiller de faire du catch pour se défouler ». Il avait eu la même histoire que SKH : à un « pot de départ », Sans Congo Senior, passablement éméché, s’était mis à insulter le collaborateur qui s’envolait vers d’autres cieux. Il lui dit qu’il trouvait que c’était une merde et qu’il n’avait jamais pu blairer sa face. Heureusement que les chefs de stage n’avaient pas entendu, sinon il serait au chômage, libre. « Quel tristesse que de vieillir » se dit Sans Congo, mélancolique.

 

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Triple H vs. Goldberg

 

JMS s’engouffrait dans le métro ligne 4, en rêvant du Sénégal, puis de la Corée, puis du Sénégal, puis de la Corée : il se demanda s’il avait déjà vu un renoi les yeux bridés. Il chercha fort dans sa petite tête aménagée de manière modeste. Non, il n’en avait jamais vu. En revanche, il sentait bien cette odeur de pisse caractéristique des Halles. Le métro séoulite offre-t-il également de tels remugles intestinaux ? JMS n’est jamais allé en Corée du Sud, il est pourtant sûr d’y avoir déjà pris le métro. Cette scène bondée de The Foul King, elle lui fait penser à sa misère trimballée sur la ligne B du RER à Gare du Nord. On voit souvent le métro dans cinéma coréen, vitrine industrielle ? Et le métro français ou parisien ? Complètement absent des écrans. C'est bien connu à Paris, tout le monde prend le taxi. JMS est intrigué par le fil de ses pensées – mais pas trop. Il google sur son Iphone, de ses pouces habiles : « peu ton filmé un film ds le metro ? » L'excuse officielle consiste à dire que c'est très compliqué de filmer dans le métro et que la RATP fait chier et payer cher. C'est vrai, mais c'est pas suffisant. Une question de degré, d’exigence, ou de mode de vie de ceux qui font du cinéma en France. Tiens, sentant qu’il réfléchissait trop, JMS a comme inconsciemment réactivé le souvenir de sa mère, et de la rouste virtuelle qui l’attend. Il n’en dirait rien à son pote – souffre-douleur ? – Sans Congo. Pour se donner du courage, il pense à cette scène de The Foul King dans laquelle le père de SKH, exaspéré du comportement de son fils qui veut devenir catcheur, se transforme à machine à torgnolles avec la paume plate comme une semelle. Il tape SKH comme une grand-mère. C’est peut-être ça ce qui l’attire dans le cinéma sud-coréen. Les parents frappent les membres de leur famille, pas forcément de manière méchante, mais avec assez d’intensité pour transmettre un message. Le genre de scène qui se jouerait dans un café foireux avec des dialogues foireux, s’il s’agissait de cinéma français. Quand même, ce père qui retourne des hélices de moulins sur le dos de son fils cadre sup à la banque avec autant de désinvolture que lorsqu’il kicke des maternelles – Sans Congo lui tient généralement sa veste -, quand même ça, c’est un truc à admirer l’Asie en général. Ah, Joy Means Sick se sentait heureux et con comme un mec de droite. Mais discrètement, au sein de ce théâtre mental qui se donnait en spectacle dans la tête d’un énergumène compressé à quai en heure de pointe, un petit personnage cherchait tant bien que mal à contenir ses larmes à l’évocation du chandelier en cuivre rouillé qu’attendait sa nuque ce soir.

 

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Big Show vs. Rey Misterio (un peu inégal)

 

Ding dong. Oui. Ouvre. Yeah. Sans Congo était sur le point de sauter dans les bras de son pote, mais il se refréna au dernier moment, heureusement, d’une part en raison de cette érection dont il ne parvenait pas à se départir ; d’autre part en craignant que son ami JMS interprète mal son geste. Or JMS est arrivé comme une boule de feu sortie des mains de Végéta. Tout sautillant, tout gai, il frotta les cheveux de Sans Congo après l’avoir bloqué sous son coude, ce qui conforta ce dernier dans son opinion selon laquelle Joy Means Sick se comportait avec lui comme le patron avec SKH. En voyant cette chambre dans laquelle les muscles bandaient et les mouvements s’effleuraient pudiquement, on eut dit que Kim Jee-won fût là, parmi eux, avec sa caméra légère. Une caméra en mouvement quasi perpétuelle, même sur des cadres qui pourraient être fixe, elle se déplace légèrement, de manière presqu'imperceptible. Oui Kim Jee-won sait filmer ; Kim Jee-won vient du théâtre. Il a le même âge que Park Chan-wook, trois ans de moins que Kim Ki-Duk et six de plus que Bong Joon-ho. Dans la bande, chacun à son style, Park a fait de la philo et cite Shakespeare, Kim Ki-duk est ancien artiste itinérant et Bong a fait de la socio et une école de cinéma. Au fond, ce qui caractérise Kim Jee-won, c'est que ces idées semblent être avant tout des idées de spectacle, de mise en scène, de cinéma et au fond peut-être de divertissement. La forme avant le fond, ou le fond en fonction d'une idée de forme.  Alors oui les gardiens du temple jetteront la première pierre sur I Saw The Devil en lui reprochant d’être un film creux, éculé, attendu. Mais Kim Jee-won s’est juste dit : « tiens j'ai envie de faire un film de vengeance encore plus vénère ». Kim Jee-won, c’est commencer directement par le dessert, ce dessert même sur lequel on s’attarde dans A Bittersweet life. Ca se sent surtout quand on compare les films noirs de tous ces réalisateurs. KJW est un virtuose, on ne ressent pas la même profondeur dans Bittersweet Life ou I Saw The Devil que dans les Oldboy, Memories of Murder et autres Bad Guy. Par contre, quand il s'agit de faire du pur cinéma et de laisser tranquille les strates les plus profondes de l'humanité le temps d'un film sur un catcheur spécialiste des coups bas, KJW déroule easy easy, fait voltiger sa caméra autour de SKH et nous régale. Le rêve de SKH par exemple, entre catcheur et Elvis Presley: un grand moment qui préfigure Le Bon, la Brute et le Cinglé.

 

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Elvis Presley, A little less conversation

 

Sans Congo regardait le dos puissant de Joy Means Sick et se rappela la déclaration d’amour de justicier de SKH. En voilà une bonne technique, encore plus facile que de déclarer sa flamme sur MSN. Il voulait demander à Joy Means Sick à son ami. Mais Joy Means Sick était trop occupé à revoir ses passages préférés de The Foul King. Il beuglait des bouts de phrases incompréhensibles : « regarde c’est le coup de la fourchette…« schprouitch » hahahaha… génial, c’est un putain de clown à l'ancienne ce mec, au fond il me ferait rire avec des tartes à la crème… avec sa tête de ouf… et là c’est le coup du marteau regarde… tout dans le feutré, même pas de bruitage pour l'impact du marteau sur le crâne du catcheur… oh putain et là, le combat final, contre cette crapule de japonais, ah j’aime pas les Japonais putain ». Sans Congo lui demanda pourquoi il n’aimait pas les Japonais. « Mais t’es con ou quoi ? Nous on n’aime pas les Japonais ! Bon déjà dans le combat, le mec n’est pas fair-play, il lui arrache son masque alors que c’est vraiment pas dans l’esprit du catch, tu comprends oisillon chétif ? Après je dis, j’ai déjà vu des Japonais sympa. Mais quand même, on ne peut pas leur faire confiance, déjà ils nous ont colonisés, après il a fallu se battre, et même maintenant je saurais pas te dire, leur tronche me revient pas ». Sans Congo n’osa pas lui rappeler qu’il n’était pas Coréen, qu’il prenait peut-être les choses un peu trop à cœur, mais il ne voulait pas que Joy Means Sick lui fasse le coup de la fourchette. Il l’en avait déjà menacé. « Regarde regarde, là c’est le super salto arrière depuis le coin du ring suivi d'un coup de pied retourné… trop stylé… je le remets… merde, si SKH a fait toutes les cascades lui même, c'est vraiment un dingue… méga respect ».

 

 

La déclaration d'amour ratée du Guerrier Masqué

 

 

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Lorsque son regard s’arrêta sur la nuque puissante, perlée de sueur, de son ami, Sans Congo ressentit une boule de chaleur en lui. Il essaya de se rapprocher de lui, subrepticement, pour se trouve enveloppé par son puissant souffle. De son côté, Joy Means Sick, que l’histoire de la torgnolle escompté commençait à chiffonner sérieusement, opta pour une stratégie défensive et demanda Sans Congo s’il pouvait rester dormir chez lui. Son cœur fit oui, son cœur se mit à courir comme SKH dans les ruelles vides de Séoul. Il bondissait intérieurement, frappait dans le vide. Son cœur faisait boom boom. « Yeah grave », Sans Congo comprenait enfin où se dirigeait son amour. Joy Means Sick, quant à lui, s’était rendu compte de son désir pour Sans Congo depuis longtemps déjà. Sans cela, il ne l’aurait jamais utilisé comme sparring partner, pour ces moments de doux frottements. « Je t’aime Sans Congo » pensa-t-il très fort. 

 

 

Jang Young-gyu, Bubble Gum (bande-son)

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