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23 juillet 2011 6 23 /07 /juillet /2011 19:16

 

 

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The Murderer, Na Hong-jin.

 

 

 


  Alborosie - Murderer

 


Ami lecteur qui ne souhaite pas se faire spoiler au Kärcher, passe ton chemin.

 

 

 


La bande annonce

 

The Murderer – c’est le titre anglais - s’annonce étrangement comme une séquelle de The Chaser. Il ne manquerait plus qu’un dernier film pour trianguler une bonne trilogie, un truc genre The Decoy, histoire de se la donner comme un illustre prédécesseur, à ceci près que ce triptyque aurait pour thème quelque chose comme la course absurde, en empruntant à la concision titulaire d’un certain John Grisham, auteur prolifique de romans d’espionnage qui ne durent que le temps d’un trajet en avion (au choix : The Client, The Partner, The Broker, The Associate, etc.). Entre The Murderer et The Chaser, les histoires sont différentes, et les parallèles troublants.

 

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Mais d’abord, un peu de géopolitique avec les Joseon-jok. Les Joseon-jok, ce sont les 2 millions de Coréens vivant en Chine, la plupart habitant la préfecture de Yanbian, dans la province de Jilin, qui dispose d'un statut de préfecture autonome. Ce mot désigne l’ancienne appellation des Coréens, et, sauf erreur, reste la manière de les appeler en chinois. La Mandchourie, terre particulièrement fertile, a naturellement été une annexe de la Corée pour une partie de la population, d’autant plus que la frontière entre la Chine et la Corée (le fleuve Yalu, désormais traversé par « le pont de l’amitié sino-coréenne » - ahh le socialisme) n’a été fondamentalement tenu qu’à partir de 1910, date de l’annexion de la Corée par le Japon. Donc les Joseon-jok, ce sont plusieurs cas de figures : tantôt des Irlandais fuyant la famine pour émigrer aux Etats-Unis, tantôt des membres du FLN se réfugiant en Tunisie – la Mandchourie ayant été une base de repli des nationalistes coréens dans leur lutte contre le Japon-, tantôt des allemands américains prenant fait et cause pour leur pays d’accueil – des Coréens ont rejoint le Parti communiste chinois contre le Kuomintang. Bref, comme on peut aisément l’imaginer, les Joseon-jok sont des sortes de « pieds-noirs » de l’Est. En Corée du Sud, ils peuvent, toute proportion gardée, être considérés comme des étrangers, ou des citoyens de seconde zone.

 

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Le Royaume de Goguryeo "empiétait" sur la Chine actuelle, du coup les implantations coréennes furent plus naturelles

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Un des deux personnages principaux est un joseon-jok. Gun-nam (Ha Jung-woo) est un type criblé de dettes qui tente de se refaire au mah-jong alors qu’il s’enfonce chaque fois un peu plus au fil des parties. La raison de sa dette, c’est un visa vers la Corée du Sud payé à sa femme pour qu’elle refasse une santé au compte bancaire « Monsieur et Madame ». La stratégie du couple repose sur les filières internationales du love : il s’agit pour la femme de brancher un sudco pour lui plumer quelques billets. Le thème de l’immigration affective est un sujet plutôt évoqué dans le cinéma sud-coréen (Land of Scarecrows, The Secret Reunion, etc.), ce qui témoigne notamment de sa bonne santé sur les questions sociales. Donc à voir les premières minutes du film, baignées dans un cadre provincial et enneigé, les impressions recueillies penchent plutôt en faveur vers du mélodrame de cerisier estampillé Lee Chang-dong, laissant gésir le thriller jus de groseille post-Park Chan-wook au fond du verre vide d’un adolescent, récemment converti au cinéma sud-coréen, mais sanguinairement repus.

 

L’incipit scénaristique est exquis. L’écriture visuelle de Na Hong-jin rayonne sous une lumière froide comme l’aube. Les cinq premières minutes sont innervées d’épithètes et d’appositions sur fond d’une espèce de rage socialement contenue que Gun-nam lâche en forme de crachat à la sortie d’une énième partie foireuse de mah-jong, comme Paul Nizan commence son récit initiatique : « j’ai eu vingt ans, et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » (Aden Arabie). Avec une espèce de discipline narrative spartiate, Na Hong-jin raconte tout le film en quelques plans. La coupe est franche, les atouts cisaillent : un insert de bouteilles d’alcools vide par-ci, un plan de cadre brisé par-là, deux trois kèches au réveil comme toujours, des vitres brisées comme souvent. Le début du film annonce la suite : contraint, étouffant, désespérant. On s’attarde sur ces premières minutes, comme pour The Chaser.

 

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M. Myun (Kim Yoon-seok), blouson de bogosse, col fourrure de bogosse, moustache de bogosse et lunettes aviator de bogosse, vient ouvrir une issue à cette impasse. Un contrat sur la tête d’un sud-coréen, passablement encalminé au fond Milieu, qui permettrait à Gun-nam de rembourser ses dettes. Gun-nam hésite, puis accepte. Na Hong-jin régale, il n’a pas oublié ses fans. M. Myun est un dur à cuire. Calmement assis en retrait de deux gros bergers allemands prêts à se mordre la glotte, il a tout de l’ordure comme on l’aime : très cruel sur l’homme, solide comme un épais morceau de caoutchouc, facétieux comme Song Kang-ho.

 

Cette première partie du film semble passée au crible fin. Le tamis est sévère, les détails sont saillants. Du naturalisme pur jus. Le mec filme en HD, donc il distribue les friandises. Sur la tronche des protagonistes, on voit les imperfections, les aspérités. Les gueules accrochent, la vraie vie quoi.

 

Gun-nam exécute de justesse son contrat. La cible était également convoitée par un ponte malfaisant de Séoul, costume taillé sur mesure, mais quand même (Jo Seong-ha). Gun-nam arrive dans la cage d’escalier, lieu du crime, quelques secondes après une grosse bagarre qui a éclatée entre les hommes du troisième larron (notamment le chauffeur de la victime, le salaud) et la victime, qui s’est honorablement défendue face à une avalanche d’estocades affûtées. Il arrive dans la cage d’escalier pour son baptême du feu, à la fin duquel le chauffeur se retrouvera lamentablement suspendu au-dessus de sa nuque brisée, et parvient à trancher son bon de sorti : le pouce que M. Myun lui avait demandé fera office de reçu. Sauf que Gun-nam s’est fait baisé. Evidemment, il n’y a plus personne, le film se transforme en Le Fugitif. M. Myun, jamais à court d’idées rentables, propose au ponte d’éliminer Gun-nam pour étouffer l’affaire, alors que la rumeur commence à tourner autour de lui, sans que ce dernier sache que c’est proprement Myun qui a commandité le meurtre, un peu comme Filippo Inzaghi qui pousse la balle au fond, après un gros taffe de Andreï Chevtchenko. Une vraie crapule ce Myun.

 

 


 L'essence d'Inzaghi se trouve toute entière dans ce but immonde, LDC 2005/2006, contre Lyon, en quart.


 A partir de là, le film part en couille, et ça se met à courir jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’écœurement, jusqu’à la mort. Alors que la bobine commençait vaguement à sonner comme une dénonciation sociale, toilettée, distinguée, mais limitée, The Murderer se transforme en chasses à l’homme à croisements complexes sur un terrain de jeu vaste comme une mégalopole. Myun est à la poursuite de Gun-nam, Le Ponte finit par poursuivre Myun, Myun ajoute Le Ponte à la liste. Gun-nam cherche d’abord à sauver sa peau – il a la police au cul – avant de se retourner contre ses chasseurs, la loi du Talion sous le coude. Bref, c’est carrément bordélique. Et rien que ça court. Le film est fondamentalement bestial et répond à The Chaser de manière éminemment élégante. Déjà, le sens de la course reste le même, mais les rôles sont inversés. C’est toujours Kim Yoon-seok qui court après Ha Jung-woo – on se rappelle que dans The Chaser, le premier joue le flic torturé et le second l’assassin tortionnaire -, sauf que, si vous permettez ces facilités de langage, c’est désormais Ha Jung-woo le « gentil » et Kim Yoon-seok le « méchant », les guillemets se trouvant être d’utiles intermèdes pour abréger une trop longue explication sur le dégoût primitif des « thrillers du millénaire » à l’endroit d’un manichéisme content de lui, de Wesley Snipes et de Tommy Lee Jones.

 

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Surtout, The Murderer est à la force brute ce que The Chaser est à l’intelligence subtile. On se souvient du tour de passe-passe de The Chaser : l’assassin qui va s’engouffrer directement dans la gueule du commissariat avec un bon paquet de vannes, une procédure légale protectrice et des repas chauds. Point de raffinement dans The Murderer : le salut réside dans la fuite incessante et le passage en force. Gun-nam passe facilement 65 % du film à courir ; ça en devient crevant de le suivre, on se prend à avoir pitié de ses mollets. La survie de Gun-nam réside purement et simplement sur ce que dicte son instinct : descendre d’un immeuble par la gouttière, sauter du quatrième étage, tomber sur le toit d’une caisse de flic, se faire encercler par plusieurs policiers, se démener tant bien que mal, trouver une issue, et courir le plus vite, le plus loin possible. D’une certaine manière, ici aussi, Ha Jung-woo se jette dans la gueule du loup, mais ce n’est qu’à la force de ses cuisses qu’il se fraye un chemin. Ces chemins, qui sont remarquablement aiguillonnés dans The Chaser, parallèles et perpendiculaires se croisant sur un immense échiquier scénaristique réglé comme de l’horlogerie suisse, sont anarchiques, bordéliques, emmêlés, enchevêtrés dans The Murderer. Pire, les voies sont à faire, ces voies que seule dicte la peur de mourir. C’est le Far West sur une ville dont les recoins et les possibilités sont encore à découvrir. The Murderer, c’est un peu Un Indien dans la ville, Forrest Gump, Into the Wild, Cliffhanger, Gladiators, et de l’hémoglobine généreusement tartinée à l’écran. When there is a will, there is a way : ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Et Gun-nam d’enfoncer un barrage au volant d’un semi-remorque, après avoir éjecté une nuée de charognards à la botte de Myun, le genre de plaie qui s’accroche. Il y a quelque chose de drôlement dérangeant dans cette énergie inépuisable. Gun-nam survit comme un acharné, Myun détruit comme un résigné : la nonchalance et l’abnégation semblent être les faces d’une même médaille, une tragédie as usual. Et Hitchcock peut ranger sa fameuse scène du biplan dans son cercueil : Cary Grant est un gentil danseur, ce sont les Erinyes que Gun-nam a aux trousses.          

 

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Range ton style man, tu fouettes.

 

Juste comme ça, pour revenir à la HD : les courses poursuites, et bien on se cramponne au siège. Le film propose une scène de carambolage de plus impressionnantes qui soient : complètement in vivo, comme si nous nous trouvions à un mètre cinquante de l’accident en filmant avec nos portables alors que les débris et les carcasses ne font que frôler. C’est limite si on ne sent pas le petit courant d’air au-dessus des tempes. Absolument bluffant. Ce mec est posé dans son style comme un roi est enfoncé dans son trône : à la tablée, Mann, Michael de son prénom. Les deux se tutoient. Quel con, c’est franchement grandiose. Et tant pis si c’est poseur tant que c’est puissamment bandant.

 

 

 


 Il ferme bien bien sa gueule là, le Cary Grant.

 

Finalement, ce qui ressort de The Murderer, ce sont les bêtes sauvages que l’on voit à l’écran. Gun-nam est un prédateur contrarié, genre carnivore qui s’ignore. Voir notamment ces fameuses sucettes-saucisses, de véritables biberons dans sa bouche, des corn dogs, ou kondogeu, qu’il tête pour se faire les canines. Il passe plusieurs jours à chasser sa cible, objet du contrat. Il recherche des signes comme un affamé, toujours aux aguets, là où sa proie laisse des signes (fouille du courrier, étude de la cage d’escalier, etc.). C’est d’ailleurs lui qui commence par l’évoquer cette métaphore, lorsqu’il raconte cette histoire de chien qui a la rage, ce chien qu’on dépèce et qu’on finit par manger. Et c’était pour ne plus « continuer à vivre comme un chien » (M. Myung) que Gun-nam accepta le contrat. De chien méprisé, le voilà loup solitaire. Le plat qu’on lui offre à son arrivée à Ulsan, il ne le mange pas, il le sacrifie, il le dévore de sa bouche, de ses yeux, de toutes les convulsions de son corps. C’est de la même manière que M. Myung et sa meute d’hyènes se font de la protéine entre copains. Eux aussi déferlent. Eux aussi se donnent. Ils tranchent singulièrement avec le style BCBG qui enroule le ponte de Séoul (cf. l’arrivée de blédards de la bande de Myung au rendez-vous avec le ponte dans le lobby feutré d’un hôtel de luxe).

 

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Leur comportement ajoute à l’aspect machiavélico-darwinienne de la mise en scène. C’est de la pure animalité contre la pure filouterie de The Chaser. Gun-nam, bête traquée, se réfugie de terriers en taudis exigus, toujours dans les coins sombres. Puis il reprend progressivement du poil de la bête, se fait les dents sur quelques maillons faibles, et s’installe durablement dans la chaîne alimentaire après avoir vidé les larmes de son corps : style de pouilleux, vengeance de bâtard. Myung, postiché dans sa crasse, toujours un os à grignoter, est du genre bête assurée qui pète au lit : il va au charbon comme on sort un steak du congélateur, manie la hache comme une fourchette, et n’aime rien tant que de se curer les dents, allongé sur son matelas, en repensant à ses victimes. Quelle classe.     

 

Dans cette catastrophe sans fin, Na Hong-jin paufine les références. Il fait remarquablement avancer la cause du thriller sud-coréen en lui adjoignant de nouveaux outils : la désormais sacro-sainte hache y côtoie les couteaux à sushis. Mais si les thrillers sud-coréens étaient la joie des couteliers, ils réjouiront désormais les bouchers : Na Hong-jin introduit dans la liste des armes conventionnées le fémur de bœuf, arme qui s’avère d’une redoutable efficacité : genre matraque massaï, il fend les crânes comme on ouvre des kinders suprise. A côté de cette nouvelle arme, peut-être plus classique et convenue, mais d’un apport appréciable, on notera la clé de 44 : des connaissances en bâtiment seront évidemment utiles à la manœuvre. Néanmoins, on regrette l’absence du marteau minsikien, véritable Notre Père dans le genre. De même, le style est propre sur lui et les protagonistes s’offrent comme des bétyles inviolables. Institution oblige, il y va également de son petit passage sur les îlotiers incompétents, seul moment « marrant » du film. Les hommages à Park Chan-wook sont appuyés : monsieur a du goût. Ainsi trouvera-t-on dans The Murderer pléthores de couloirs étroits, d’escaliers ensanglantés, de caves de tortures, d’ascenseurs glauques. Les lumières clignotent, le teint est blafard, les murs ont quelque chose d’humide. Cette poésie finit toujours par prendre. Enfin, dans la plus juste des rétributions, Na Hong-jin donne en présent à Quentin Tarantino l’oreille découpée d’un corps de traître.          

 



Juste kif.

 

The Murderer commence en lutte sociale et s’achève en apocalypse sanglante. Le film en est inondé. Et finalement, dans cette infinie débauche d’énergie, il en reste quelque chose à en devenir claustro. Point de liberté pour les bêtes : l’instinct a quelque chose d’harassant. A sa mort, Gun-nam semble paisiblement endormi, comme après une dure journée de taf.

 

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Et tout ça pour une histoire de cul.

 

 

 

Back to Black, c'est le cas de le dire. 

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