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31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 19:07

Wonderful Days, Kim Moon-saeng, 2004

 

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Coloriste : Mee Jang, une petite pensée pour ce type qui a dû se contenter d’une gamme de gris et de bleus, de couleurs tristes pendant plus d’une heure. Alors dès qu’il a l’occasion de mettre de la couleur, il se/nous fait plaisir.

 

LE FILM SUR YOUTUBE !

 

 


 

  Variations sur thèmes usités

 

Le générique est très beau et mérite son petit paragraphe. Une musique enlevé et planante saupoudre la séquence comme pour révéler le sens d’un monde suspendu, exsangue, entre la vie et la mort. Une moto qu’on dirait sortie de Tron fend un sentier lissé par une nappe d’eau étale. Des gouttes d’eau jaillissent des striures du pneu arrière. Le bolide trace à toute vitesse ; il semble pourtant immobile. Subrepticement, le regard du pilote croise un ensemble industriel désaffecté. La brume est stagnante, une grande ville se forme à l’horizon, les rochers restent désespérément silencieux. Sous une succession d’accords soufflant les derniers jours d’un dieu fatigué, le générique balance l’exposé des motifs sans vaciller. C’est bon, ce film c’est le mouvement final de la  sixième symphonie de Tchaïkovski.

 

 


 

Pour planter l’histoire une bonne fois pour toutes : on est au XXIIe siècle (donc au fond, pas si loin que ça), dans un monde post-apocalyptique rendu pratiquement inhabitable après une catastrophe apparemment  d'origine humaine. Deux groupes de population vivent côte à côte : l'élite ou les chanceux, bien sapés, propres sur eux, vivent dans Ecoban, une ville fortifiée amie des arts, du profit et de l’ordre. Cette ville est protégée de la pollution extérieure, tandis que le deuxième groupe, beaucoup plus nombreux, vit à Marr, dans la crasse et la pollution. Bref, le topo répond à la dichotomie classique ville/faubourg, centre/périphérie, insiders/outsiders, Nord/Sud, etc. En revanche, point particulier et intéressant, Ecoban est grosse consommatrice d’énergie, laquelle est produite à partir de… pollution, tada ! En voilà une drôle d’idée, les dirigeants d'Ecoban envisagent donc de brûler des puits de pétrole pour « étendre la zone de pollution », régénérer la ville et se préparer à faire face à une éventuelle rébellion des habitants de Marr, armée de réserve du capital.

 

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La parabole est donc aussi discrète qu’un sound system dans une maison de retraite. Un des dirigeants, qui manifestement imprime à la cité son ordre de marche, est un ultralibéral ultra-véreux-et-cynique, type vieux patron à l’ancienne, le genre à demander à M. le Préfet qu’on fasse tirer dans la foule pour faire cesser les troubles occasionnés par les grèves. Sauf que là, question de style oblige, il tire lui-même dans le tas. Sa doublure en français est caractéristique de pratiquement toutes les voix de méchants des dessins animés en provenance d’Asie : une voix Végéta-like un peu pincé et nasillarde, tranchante, le débit rapide et haut. En face, les idéalistes rêvent de détruire le système central de la ville pour voir le soleil - ce qui, on le conçoit bien, est un objectif légitime en soi. Bref, âme damnée contre belles âmes, confrontation qui promet de la tartine à premier degré sans modération.

 

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Le conflit type dedans-dehors est tellement fréquent en littérature et au cinéma qu’on n’ose même pas tenter ne serait-ce qu’une ébauche de liste. Wonderful Days n’échappe pas aux lois du genre (protagoniste compromis entre les deux camps + protagoniste plein de remord qui finit par accomplir un acte héroïque + protagoniste qui comprend le sens de sa lutte et accepte de se sacrifier + etc.). Cela ne me dérange pas dans la mesure où je suis un fan intarissable de l’histoire de la Seconde guerre mondiale (la dynamique les gentils-perdent-au-début-puis-ils-laminent-les-méchants m’a toujours excité) mais il est forcé d’admettre que c’est du tout vu. Le problème n’est pas le film, mais la structure plus générale du dedans-dehors. On n’arrive à généralement à rien de transcendant avec ce genre de situations. D’où notre leitmotiv de vieillards que l’on répète à tous nos étudiants en cinéma (je donne personnellement des cours à la Femis et Joy Means Sick donne des séminaires un peu partout dans le monde, mais principalement à la NYU) : adopter, autant que faire se peut, une matrice ouverte. Ne jamais hésiter à ouvrir un film, ne pas cloisonner des pans de film : nous pensons fondamentalement qu’un espace ouvert est plus important, car il offre plus de possibilité, quitte ensuite à replier méthodiquement le scénario.

 

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L’autre idée intéressante est bien entendu la question de la pollution. Accorder une positivité à ce qui relève purement et purement de l’externalité négative permet d’ouvrir une petite brèche –oh si peu, mais amplement suffisante- pour développer quelques lignes. A noter déjà au passage qu’un autre film d’animation sudco, Aachi et Ssipak, datant de 2006, exploite également l’idée d’une positivité d’externalité négative puisque dans ce cas, ce sont les excréments humains qui assurent la survie énergétique. Mais revenons au cas de la pollution : ce qui est marrant c’est que ce point est complètement assumé par les habitants d’Ecoban mais qu’à aucun moment les conséquences écologiques ne sont explicitement établies. En gros, c’est comme si la « pollution » n’était problématique que dans la mesure où elle est la cause de l’atmosphère nuageuse qui ne permet pas de voir le soleil, mais c’est tout. Les effets néfastes sur la planète ne sont pas évoqués. Bref, c’est une question esthétique quoi. En fait, les types voulaient juste bronzer. Ce parti-pris incomplet est une approche pour le moins étonnante.

 

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Œuvre composite

 

Commençons par le petit jeu des sosies. « Tiens ça me fait penser à ça », à bien des égards Wonderful Days peut être observé comme un objet patchwork : des musiques de tous horizons, une plastique composite, mais pour commencer des références à la pelle. Assumées ou non peu importe, elles fonctionnent, « seul le vol est justifiable » hein Pedro (Almodovar) ? N’empêche avec Kim Moon-saeng notre imaginaire a une base de données commune. Comme toujours ce jeu d’associations est purement subjectif.

 

La ville du peuple de Marr, étouffée sous la pollution, grise comme un mineur du Pas de Calais de 1850 à la sortie du taf, me rappelle fortement Midgar, la case départ de Final Fantasy VII, case que j’ai dû emprunter une bonne dizaine de fois histoire d’avoir toutes les materias, tous les persos, ou de me faire un kiff nostalgique. Bref je sais de quoi je parle.

 

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De là à dire que Shua ressemble à Cloud, le héros de FF7, il n’y a qu’un pas que je ne franchirais pas. Et pour Cause, Shua, c’est Nicky Larson (ou Kyo du manga éponyme). Mais quand même, y a la moto.

 

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Et pour en finir avec FF7, parce qu'à mon âge il serait temps de passer à autre chose, va savoir pourquoi j’associe Barrett à ce rebelle de Marr.

 

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Sinon on remarquera que les bruits des « vaisseaux » sont très proches de ce de Star Wars qui n’en finira jamais de faire des émules. De plus quand Shua s’introduit dans Ecoplan en planeur, on pense fortement à l’étoile noire, surtout quand il s’engage dans une tranchée poursuivie par des chasseurs de l’Empire, oups pardon d’Ecoplan.

 

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Point de vue mise en scène, l’excellent générique déjà souligné par Sans Congo me fait fortement penser à celui de The Shining : musique planante, des notes ponctuelles et surtout des vues aériennes type hélicoptère d’un véhicule seul au monde. D’ailleurs petit point culture : saviez-vous que la Warner avait utilisé des rushs du film de Kubrick pour bricoler sa propre fin de Blade Runner de Ridley Scott avant que ne sorte le Director’s Cut?

 

 

 

 

Petit clin d’œil architectural. Hong-Kong, Fruit Chan, Nouvelle Cuisine, photo de Christopher Doyle (photo 1). Mais la scène se déroulant dans un musée reconstitué (photos 2 & 3), les plus riches/cultivés auront reconnus le musée Guggenheim de New-York (photo 4). Etonnant d’ailleurs quand on sait à quel point ils sont tatillons vis-à-vis de leur droit à l’image… (interdit de photographier l’intérieur du bâtiment).

 

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Allez une dernière pour la route, le combat dans les égouts et dans l’eau, entre le gentil et le méchant, ça ne vous rappelle pas Underworld ? Non ? Bon tant pis, moi si.

 

 


 

 

Attaquons nous maintenant au film de façon plus frontale. Déjà vous aurez compris que c’est le genre de film qui me plait. Si vous ne partagez aucune des références ci-dessus, il se peut qu’on ne se comprenne pas. Raisons de plus pour que l’on s’apprécie : Romain Gary, Adieu Gary Cooper, un magnifique contre-pied sur la barrière de la langue. Difficile d’arrêter comme ça les références une fois les vannes ouverte.

 

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On a déjà parlé du générique, mais l’accroche qui le précède mérite aussi quelques mots. L’approche est un peu gratuite mais diablement efficace. A priori déconnectée du reste du film, on pourrait dire qu’elle permet de caractériser les personnages de Jay et surtout du grand méchant, mais vu les rares apparitions de ce dernier par la suite… la séquence sert surtout à plonger la tête des spectateurs dans l’univers du film, sa cruauté, son absence de couleurs et son côté caricatural ou déjà vu. Voilà, c’est balisé, ce sera une variation sur une rengaine bien connue mais après tout ne dit-on pas que toutes les histoires ont déjà été racontées ?

 

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Au niveau de la forme, le plus frappant est surement le côté composite du film. Les dessins types mangas côtoient les images « 3D » et, j’en jurerais, des images filmées : la pluie, les nuages, des statues du musée, etc (d’ailleurs le générique mentionne des « prises de vues miniatures »). Le mariage entre les trois n’est pas toujours parfait (l’attaque du convoi et la fuite en camion + les plans suivants des motos) mais dans l’ensemble on sent qu’on a fait du chemin depuis Tekken 2. Finis les polygones, les frontières sont minces, poreuses, confuses. Le parti pris est d’ailleurs très pertinent : en 3D (et non relief commeAvatar) propre et réaliste les objets manufacturés et donc les décors, en dessin tout ce qui est vivant. Le tout est très bien fait, les images léchées. Et puis comme la bande son est au diapason, on ne va pas faire les fines bouches. Par deux fois on se demande d’où sort une sonorité improbable dans cet univers futuriste (l’harmonica, la guitare et sa chanson en anglais) mais on est repris de volée : bien que montrées avec un léger décalage, les sources sont diégétiques. Allez, histoire de nuancer, quelques faux pas ou plutôt des pas un peu lourds dans les passages de morts tragiques.

 

 

 

Alors certes le film a quelques défauts, une histoire assez classique et un univers plein de références. Mais le voyage qu’il nous propose est rapide et agréable. Même le final monté sur un air d’opéra finit par s’imposer à force d’insister.

 

 

Sans Congo (depuis le Myanmar) et Joy Means Sick


PS : au Forum des Images traine un vieux Mad Movies spécial Asie avec quelques pages sur l’animation coréenne. On vous en touchera deux mots à l’occasion.

 

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