Aachi & Ssipak, du cerveau frappé de Jo Beom-jin.
La bande annonce
Le film en ligne :
Sans avoir vu le dessin animé, le quidam se tape des barres à l’évocation parfumée de leurs blases respectifs, des sortes de Starsky & Hutch en crayons de couleur. Puis vient le pitch, raconté en voix off sur un générique qui défile vers la ligne d’horizon à la Star Wars. La planète est à court d’énergie, comme d’hab. On se souvient des méchants citadins, avides et pollueurs, de Wonderful Days, et on a versé une larchimette sincère devant le destin poignant de femmes courageuses se démenant au quotidien dans le documentaire Earth’s Women – même si ça n’a rien à voir, ou presque. Va-t-on nous tartiner de la croissance verte, de la fiscalité verte, des emplois verts, des usines vertes, un comportement vert, la culotte verte d’Eva Joly ?
Bah non. On range le sens commun et on ingurgite l’absurde jusqu’à la lie. Tout réside dans la matière fécale, rien que ça. Sans sourciller, sans sentir cet espèce de courant d’air frais qui bat généralement sur les pupilles de réalisateurs pudiques en fait d’originalité, le réalisateur, Jo Beom-jin, imagine une monde dans lequel on utilise le caca comme source d’énergie. Une scatocratie mondiale, ni plus ni moins. Des régisseurs régulent cette énergie puante à l’aide de puces électroniques délicatement apposées dans l’anus comme le timbre fiscal d’un passeport. Les citoyens ont chacun leurs stats de méthane et malheur aux constipés. Outre le versant bâton, le pouvoir agite la carotte en distribuant des glaces à eau augmenté : mais quel monde étrange. Les habitants raffolent de ses glaces qui sont distribuées à chaque fois qu’une taupe se présente au guichet. Le mécanisme de rétribution ressemble à s’y méprendre à celui des tuyaux à air comprimée dans lesquels un employé de caisse insère une capsule contenant un certain montant de billets à remonter vers la caisse centrale. En gros, une personne défèque, elle tire la chasse d’eau et le mécanisme s’active pour livrer une glace à eau via ce même genre de conduit. Vous ne verrez plus jamais les caisses comme avant.
Malheureusement, on devient accro à ces glaces ; bah oui, sinon ça aurait été trop simple, un monde comme un autre somme toute. Donc on devient accro et à force d’être stone, « à l’eau », on finit par ne plus pouvoir chier. Rien que ça. Les toxicos rétrécissent et deviennent bleus comme des Schtroumpfs. On les appelle « gang des couches », i.e. une bande de mutants à la tête de laquelle se trouve un Chef sadique qui ressemble à s’y méprendre à un croissement entre : Hitler, Anders Behring Breivik, et un Na’vi. Oui parce que la moustache de ce chef, garantie sans crème stimulante japonaise, est la cerise sur le gâteau bourré de références que constitue ce dessin animé. En même temps il fallait s’y attendre : un scénario aussi barré ne pouvait prendre comme modèle que ce bas monde – vous avez bien saisi la critique désabusée de ce début de siècle qui s’est glissée dans l’espace entre ces derniers mots ?
Donc du caca. Voilà de quoi nous occuper pour une bonne partie de ce texte. Il faut dire que ce serait drôlement plus simple si nous pouvions utiliser la matière fécale comme un carburant. Comme ce sont toujours les meilleurs qui ont les meilleures idées, on se souvient que Groland à l’époque avait déjà proposé l’idée d’une voiture à sperme, certes moins commode que la voiture à essence, mais qui a le mérite de pousser la logique autonomiste à son extrême le plus grivois. Dans un style plus compromis, ou désespéré, on pourra également citer Lino qui se fendit d’une saillie mélancolique, un énième soir de cuite : « si la merde avait une valeur, mes négros naîtraient sans trou du cul » - à ne pas confondre avec la sentence de Booba : « s’il y avait des bites par terre, y’en a qui marcherait sur le cul », même si la distinction est ténue. Bref, tout ça pour dire que les selles fascinent. On raconte par exemple que Salvador Dali n’aimait rien moins que l’extase procurée par une crotte de chien ; nous tenons cette information classifiée d’Amanda Lear himheritself. « Moi, la crotte de chèvre, ça m’excite » ce serait-il exclamé avant en face d’une douairière quelconque venue admirer le génie et ses moustaches garanties 100 % sans crème dopante japonaise. Ces rencontres fortuites se sont également jouées de Kiyoshi Yamazaki (Kenichi Endo), le père de famille dans Visitor Q de Takashi Miike, qui vit le bout de son gland victime de la décontraction musculaire post-mortem d’un cadavre sur lequel il se défoulait. Kiyoshi s’en amuse, sacré Kiyoshi, ce ne sont pas quelques sentiers boueux qui l’empêcheront d’aller au bout de sa petite mort. Cela étant, pour s’éloigner légèrement, mais prudemment, des cimes du pipi-caca gentil, on pourrait également évoquer un film traumatisant à l’excès, à savoir Salo, ou les 120 jours de Sodome. Que de caca dans ce défouloir pasolinien ! C’est vraiment gerbant. S’ils étaient l’objet de railleries enfantines, les matières fécales deviennent ici le support d’une torture fasciste emmanchée jusqu’au coude. On se souvient du bain marron, horrible, et de la scène de torture collective finale, splendide et sordide, effrayante et dérangeante comme le triptyque de Bosch, le Jardin des délices. Bref, du caca pas coul. Et bien évidemment, nous ne pouvions pas finir ce paragraphe sans évoquer le monstre légendaire du Web, la vidéo 2 girls 1 cup, dont le titre suffira, si vous avez lu attentivement jusqu’ici, à vous résumer l’objet. Cette vidéo, que d’aucuns considèrent comme un fake, est tout droit sortie des fantasmes dégueu de Marco Fiorito, un Brésilien de 36 ans qui se décrit lui-même comme un « fétichiste compulsif ». Une vidéo qui est surtout devenue fameuse par les vidéos de réaction qu’elle a suscités.
En fait, pour finir réellement, il ne faudrait pas oublier un grand moment de littérature, et peut-être le plus grand passage du Voyage au bout de la nuit. Dans Aachi & Ssipak, les unités de production fécale sont réunies par secteur. Ces unités constituent des sortes de toilettes publiques, cylindriquement individualisées, solidement amarrées, où la gloriole physique le dispute au sérieux civique. Bref, dans nos têtes mal faites, il s’est ouvert comme un gouffre temporel qui ne s’est refermé qu’en 1932, à l’époque où Bardamu, valétudinaire cosmique, nous rapportait cette expérience :
« J’avais déjà vu bien des gens de la rue y disparaître et puis en ressortir. C’était dans ce souterrain qu’ils allaient faire leurs besoins. Je fus immédiatement fixé. En marbre aussi la salle où se passait la chose. Une espèce de piscine, mais alors vidée de toute son eau, une piscine infecte, remplie seulement d’un jour filtré, mourant, qui venait finir là sur les hommes déboutonnés au milieu de leurs odeurs et bien cramoisis à pousser leurs sales affaires devant tout le monde, avec des bruits barbares.
« Entre hommes, comme ça, sans façons, aux rires de tous ceux qui étaient autour, accompagnés des encouragements qu’ils se donnaient comme au football. On enlevait son veston d’abord, en arrivant, comme pour effectuer un exercice de force. On se mettait en tenue en somme, c’était le rite.
« Et puis bien débraillés, rotant et pire, gesticulant comme au préau des fous, ils s’installaient dans la caverne fécale. Les nouveaux arrivants devaient répondre à mille plaisanteries dégueulasses pendant qu’ils descendaient les gradins de la rue ; mais ils paraissaient tous enchantés quand même.
« Autant là-haut sur le trottoir ils se tenaient bien les hommes et strictement, tristement même, autant la perspective d’avoir à se vider les tripes en compagnie tumultueuse paraissait les libérer et les réjouir intimement.
« Les portes des cabinets largement maculées pendaient, arrachées à leurs gonds. On passait de l’une à l’autre cellule pour bavarder un brin, ceux qui attendaient un siège vide fumaient des cigares lourds en tapant sur l’épaule de l’occupant en travail, lui, obstiné, la tête crispée, enfermée dans ses mains. Beaucoup en geignaient fort comme les blessés et les parturientes. On menaçait les constipés de tortures ingénieuses.
« Quand un giclement d’eau annonçait une vacance, des clameurs redoublaient autour de l’alvéole libre, dont on jouait alors souvent la possession à pile ou face. Les journaux sitôt lus, bien qu’épais comme de petits coussins, se trouvaient dissous instantanément par la meute de ces travailleurs rectaux. On discernait mal les figures à cause de la fumée. Je n’osais pas trop avancer vers eux à cause de leurs odeurs.
« Ce contraste était bien fait pour déconcerter un étranger. Tout ce débraillage intime, cette formidable familiarité intestinale et dans la rue cette parfaite contrainte ! J’en demeurais étourdi.
« Je remontai au jour par les mêmes marches pour me reposer sur le même banc. Débauche soudaine de digestions et de vulgarité. Découverte du communisme joyeux du caca. Je laissais chacun de leur côté les aspects si déconcertants de la même aventure. Je n’avais pas la force de les analyser ni d’en effectuer la synthèse. C’est dormir que je désirais impérieusement. Délicieuse et rare frénésie ! »
Bon voilà, insister reviendrait à partir en vacances en laissant le couvercle ouvert, et libre la voie aux remugles nauséabonds. De toute manière, à tout bien considérer, le caca est un prétexte rigolo plus que le fond de l’histoire d’Aachi et Ssipak. D’ailleurs, le dessin animé est plus sanglant que puant. Le « gang des couches » est composé de chair à trucider, parfaitement interchangeable, parfaitement inutile. Alors les représentants des forces de l’ordre s’en donnent à cœur joie, et notamment le Super Cop Geko, une machine de guerre finement huilée dont les faits et gestes offrent au dessin animé quelques unes de ses plus belles images. Les camés ressemblent aux Smoochies, petites peluches sadiques et fragiles qui finissent cisaillées à chaque fin d’épisode, mais sont coriaces comme les Replicator de Stargate, peut-être l’espèce la plus casse-couille de la série, et peut-être méchants et débiles comme les hyènes du Roi Lion. Du bon méchant comme il faut pour passer un bon moment ; de la bonne chaire à suggestionner, à dépecer, à éclater. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe dans 70 % du film, et c’est profondément jouissif. Ça fait penser aux bulles en plastiques sur lesquelles on passe son temps innocemment, sans comprendre que c’est un des mécanismes les plus sadiques de nos êtres qui se trouve inconsciemment activé par cette action.
Aachi & Ssipak, on dirait que c’est un délire de soirée, avancée dans la nuit, où alcool et THC se tressent à l’étoupe de l’audace. C’est un peu comme si Moff, dans Human Traffic, était allé au bout de sa théorie, enfantée par plusieurs taffes de bang, qui fait de Dark Vador un space-dealer intergalactique et Yoda un camé en descente depuis plusieurs siècles. Sauf qu’à la différence de Moff, Jo Beom-jin et le studio J team sont allés au bout de leurs idées. C’est par une vue assez commune que l’on considère les idées plus audacieuses comme le fait de l’alcool ou du chichon : si c’était le cas, le réalisateur est allé au bout du possible. Le mec a dû se dire : j’aime le cinéma, mais comment lui rendre hommage à ma manière, sans étaler une médiocre bouse de vache qui viendra s’empiler sur le continent des reconnaissances foireuses. Du coup, il a l’idée géniale de décontextualiser fondamentalement le propos. C’est fort. A partir de ce moment-là, chaque référence sera une espèce de fleur jetée à la face du spectateur entre deux holocaustes de gang des couches. Nous n’avons certainement pas relevé tous les films recensés dans le dessin animé, mais comme ça, en un coup, on tenterait les films suivants : Matrix Reloaded, Mad Max, Robocop, Pulp Fiction, True Romance, Superman, Batman, Le cuirassée Potemkine (quand même, pour l’école du cinéma), Scarface, Indiana Jones, Blade. Voilà pour les quelques uns qui nous sont venus à l’esprit, il faudra nous dire pour les autres. Bref, que du bon, très musclé et tonique. Le mec s’amuse tellement qu’il nous joue une mise en abîme subtile de story-board de dessin animé dans le dessin animé. Pour marquer la différence, le story-board est dessiné au crayon à papier, mais il défile à une vitesse telle qu’il devient un dessin animé, réduit évidemment, dans le dessin animé. Ce genre de bonnes idées qu’on affectionne particulièrement sur ce blog, donne bien le ton du dessin animé : archi-pop qui rend son dû à Kinji Fukasaku et Quentin Tarantino.
C’est tellement pop qu’on ne peut pas ne pas évoquer le personnage de Toufman Jimmy, un réalisateur de films porno prolifique, tout droit sorti d’un film de blaxploitation. Sous sa touffe grosse comme Jupiter, il rêve de réaliser un film qui lui apporterait un succès international et dans lequel une héroïne sacrifierait « son trou du cul pour sauver le monde ». Il se fait victimiser durant tout le film, selon le syndrome « Oggy les bons tuyaux » par le gang des couches qui ne comprend pas sa sensibilité artistique. A côté, on a la dirigeante cynique, petite péteuse sèche comme une biscotte (désolé), dont la violence est proportionnelle à la circonférence de son crâne digne d’une pastèque, qui déplore qu’on « profane ce lieu saint qu’est l’anus ». Sans compter la pépé d’Aachi et Ssipak, qui leur fait grimper les cimes de la réussite sociale et leur permettant de devenir de gros dealers de sorbets grâce aux performances exceptionnelles de son transit intestinal. Aachi ne s’y trompe pas : « elle est bonne, cool, et elle rapporte ». Du coup, s’il est permis de s’exprimer ainsi, c’est la course au cul sacré durant tout le dessin animé. D’où l’évocation de True Romance plus haut : une magnifique scène foutraque dans laquelle deux gangs se retrouvent, dans la chambre d’hôtel luxueuse d’Aachi, Ssipak et leur beauté, nez à nez avec la police. Un moment pur. Finalement, à la réflexion, tous les moments sont purs dans ce film. Les scènes de baston sont magnifiques. Elles font du Matrix avec du dessin. Notamment, Aachi & Ssipak est impulsif. On s’explique : durant les tapes, il y a des plans durant lesquels l’image ralentit avant qu’un coup ne soit porté. C’est comme si le personnage qui allait porter le coup voyait toutes les coordonnées de l’image se concentrer en son sein et que d’une certaine manière, il obtenait l’impulsion de son coup par une forme de dépliage de l’image. Comme un trampoline virtuel. Ce procédé est énormément utilisé pour Geko, le super cop aux capacités exceptionnels, dont le seul intérêt réside dans la boucherie dans laquelle il stocke le gang des couches. En fait, pour comprendre cette sensation, il faut peut-être avoir saigné Prototype, le jeu Xbox/Play 3. Dans ce jeu, Alex Mercer a des super pouvoirs qui lui permettent, entre autres : de sauter d’immeubles en immeubles, de planer, de courir sur les murs, des mettre des chassés aux hélicoptères, d’attaquer une base militaire aux poings, et de balancer des châteaux d’eau sur des mutants. Bref, un gros délire. Et bien dans le jeu, lorsqu’on charge un chassé aérien en restant appuyé sur la touche qui porte les coups, l’image se fixe et on voit pendant quelques instants le coup « sur le point de ». La scène est suspendue et l’accent est mis sur l’évènement-chassé. D’une certaine manière, les protagonistes deviennent superflus, le coup existe par lui-même. C’est un peu le même procédé que celui de la ligne imaginaire qu’on a dans Oldboy, qui relie le marteau et le front. Finalement, ce qui reste de l’action, c’est ce moment suspendu durant lequel le couple marteau-front s’individu : il est bien là l’évènement du coup de marteau.
Bon voilà, après il est inutile de prêter trop d’intention à un dessin animé qui est avant tout un gigantesque défouloir, vulgaire et bariolé. Aachi & Ssipak, c’est un peu un clip de K-pop qui a mal tourné. Comme en témoigne les pubs qui défilent pour proposer des remèdes à la constipation. C’est bien peut-être le seul moment de « critique social » : des produits qu’on nous propose pour pouvoir évacuer, c’est-à-dire, in fine, pour consommer plus. Pour le reste, on n’a à faire à un délire d’enfant qui a grandi trop vite : il y a le côté pipi-caca, l’aspect friandise, l’énergie débézaide, la princesse injustement molestée. Le monde est comme vidé, il n’y a pas de tiers, pas de passants. Cela témoigne encore plus de la volonté d’aller droit au but et de ne pas s’encombrer de politisme inapproprié. Les âmes exigeantes sont priées d’aller voir aux alentours de Wonderful days. Aachi & Ssipak est un délire extrêmement sanglant dans un monde en ruine, sans que cela ne semble poser véritablement problème. Monde moderne, monde de bouts de corps, édulcoré, popophile, cauchemar d’idol. Comme on peut l’entendre durant le film, « quelle soit molle ou dure, une merde reste une merde ». On ne pouvait pas mieux conclure.
PS : si quand même, c’est Ryu Seung-Beom qui fait la voix d’Aachi. Toujours dans les bons coups celui-là.
PS2 : comme pour l'article sur Une femme coréenne, on imagine déjà, au regard des termes utilisés dans ce texte, le nombre d'internautes égarés qui viendront gonfler les statistiques du blog...
La voiture à sperme du Groland
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La scène finale de True Romance