Sunny, de Kang Hyeong-cheol. Pour l'ouverture du FFCF 2011.
18h13. Pofpofpof. Sans Congo, après s’être passé une dernière fois le clip de Boney M, Sunny, sur Youtube, se dirige au pas de charge vers Saint-Michel. Arrivé devant le cinéma Saint-André-des-arts, manifestement trop tôt, Sans Congo salue Pascal Le Fur, collègue accrédité dont il avait plusieurs fois croisé la silhouette l’année précédente. Cette fois, Sans Congo est devenu un homme. Il faut dire que l’absence de Joy Means Sick, son fidèle acolyte, n’est pas étrangère à la discussion agréable qui s’engage avec Pascal Le Fur. Et puis paf, David Tredler, de l’Impossible blog ciné. Bon Dieu, salut David, Sans Congo, heureux de faire ta connaissance, comment vas-tu, nous avons enfin l’occasion de nous rencontrer, bon sang ! Tu ne m’en veux pas, j’ai oublié le Twix, sorry…
En revanche, j’ai un super haut de forme t’as vu ?
L’entrée du cinéma commence à se garnir, Sans Congo essaye de trouver un sens à sa vie. Il profite de sa position stratégique pour saluer furtivement Yoo Dong-suk et Pierre Ricadat, extrêmement affairés. Il est 19h38. Le film débutera en retard, what else. Le staff est tout frais tout beau avec son sweat-shirt FFCF bleu cyan. Sans Congo récupère son accréditation et ne demande pas celle de Joy Means Sick en espérant qu’elle se perdra et qu’il sera rayé de la liste. Ignorant la petitesse de son comportement, Sans Congo rejoint le compartiment des accrédités non invités, composé de quatre personnes, alors que la foule se divisait, comme l’année dernière, en deux queues distinctes, celles de la plèbe et celle des invités. Nicolas Gilli, de Filmosphère, grand seigneur, attend avec nous alors qu’il a une invitation. Cette nonchalance suscite en Sans Congo un mouvement de sympathie, et il se rappelle qu’au FFCF 2010, il avait, avec son comparse, tenu à faire la queue avec les déshérités avant qu’un membre du staff ne les invite à rejoindre leur dignité, celle des patriciens.La discussion s’engage, et Sans Congo apprend que Filmosphère est géré par Nicolas Gilli tout seul, alors qu’il était persuadé qu’il y avait une team derrière ce site. Maudissant la flemme qui le prend à chaque fois qu’il cherche à actualiser son blog, Sans Congo gratifie d’un « chapeau, monsieur » le dit Nicolas.
Bon ce n’est pas tout ça mais l’horloge tourne. Et j’en ai ma claque de parler de la moi à la troisième personne. La sauce commence à monter, je sens mes articulations qui vibrent. Les notes résonnent subrepticement au fond de la partie de mon cerveau qui stocke ce qui me reste de souvenirs de mon adolescence. Sunny, les années 80. Putain, j’aurais dû mettre mon plus beau survète Sergio Tacchini en lycra vert et mauve. Nous entrons dans le cinéma. La salle est plus grande, Dong-suk et Pierre, co-présentateur, peaufinent leurs derniers flows avant de se lancer. Bonjour, merci d’être venus, ça va être génial. Je suis de plus en plus persuadé que Sunny est au top. David, comme Saint-Matthieu, attend de voir. Je dis à mon voisin Pascal de ne pas s’inquiéter : « t’inquiète mec ». Je pense au coming-out que je vais pouvoir écrire sur le blog.
Bon j’avoue, je portais ce tee-shirt sous ma chemise
Au passage, Monsieur l’Ambassadeur de la République de Corée a précisé, pour ceux qui ne squattent pas koreanfilm.org, que Sunny a franchi sans forcer la barre des 7 millions d’entrée (i.e. très gros succès). Quand on se rappelle que l’année dernière le film d’ouverture, The Man from Nowhere, tutoyait les mêmes anges, il n’est pas difficile de conclure que la porte d’entrée au FFCF doit être gardée par le plus reluisant des Mamelouks. Alors que son Excellence retournait à ses Ferrero rochers, Kang Hyeong-cheol himself, écharpe marron sur la nuque, est intervenu pour nous donner selon lui la clé de lecture de son film : « l’ironie de la vie, sept ménagères devenues jeunes filles, sept jeunes filles devenus ménagères ». Etant donné mon affection pour les chiasmes, j’acquiesçai profondément.
La lumière s’éteint, la réclame déboule, rançon du succès, et le film commence enfin, enfin, enfin, enfin, et enfin. Je me suis branché sous une tension émotive qui ne me laissera pas le choix de la mesure : soit je trouve le film génial, je passe une super semaine, et je sympathise, soit je trouve que c’est une daube profonde, je rends mon accréditation et je prends ma carte du FN. Je me souviens il y a quelques temps déjà, un soir où nous étions allongés avec ma tendre et douce à observer les irrégularités des couches de peinture blanche sur le plafond. Ma dulcinée, ne supportant peut-être plus le sérieux avec lequel j’exécutais ma fonction de contrôle, fendit le silence d’un tomahawk verbal en direction de mon état végétatif. Elle voulait me montrer quelques scènes de son drama d’alors, Boys over Flowers. Moi, reins solidement ancrés dans la haute idée que je me faisais de moi-même, susceptibilité à fleur de peau sulfurée, pas une ni deux, je passe ma main sous le lit pour tirer mon marteau du dimanche, enfile ma panoplie de damné dark beau gosse costume et chemise noirs, me dresse sur mon séant comme un gars qu’on a enfermé trop longtemps, pétard dans les cheveux, et boum coup de pression.
T’as cru que j’étais ton pote ou quoi ?
Si j’avais su, à cette époque là, que je finirais un jour par me morfondre en attendant de voir un film sudco qui raconte l’histoire d’un groupe de copine, baptisés Sunny tous les deux, sur fond de prosélytisme kpopien, vous pensez bien que je me serais moi-même fait l’honneur de mettre un terme à mon existence en m’éclatant la carotide avec un espadon congelé. C’est un peu comme si je vous disais que je milite dans une association pour le retour d’Hélène et les Garçons à la télévision (heu…). Ou que j’ai lu la biographie de Loana et que j’ai ab-so-lu-ment-a-do-ré (hum…). Chiottes mec.
Et pourtant, que voulez-vous, l'amour. Il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis... Sunny raconte l’histoire d’un groupe de copine dans la Corée des années 80. Na-mi, une jeune fille issue de la campagne, se fait railler par ses nouvelles camarades de classe du Jindeok Girl’s High (qui ressemble aussi à un nom de groupe de K-pop) à cause de son accent provincial. Une portée de Spice Girls la prend sous son aile et l’intègre dans sa bande : Chun-hwa, la chef ; Jang-mi, la gourmande obsédée par ses sourcils ; Jin-hee, insulte sur pate sèche comme un fil d’étain ; Geum-ok, fan de littérature ; Bok-hee, would-be Miss de Corée ; et Suji, froide, belle et arrogante. Cet aspect Power Rangers le rend absolument sympathique. C’est LA bande d’ami idéal-typique, équilibrée, homothétique, substituable et interchangeable. Complètement dans le délire de Friend de Kwak Kyung-taek. Et si les hommes viennent de Mars, les filles viennent de Vénus… et de Mars. Friend offrait une scène de baston des plus mémorables, impliquant plusieurs lycées dans une cage d’escalier, et Sunny donne dans le crêpage de chignon volontaire et vicieux, le kick voltigé de pucelle et l’insulte gracile. Voir cette bande faire ses conneries, c’est un peu réciter un Te Deum à l’honneur des années qu’on rêve d’atteindre quand on y est pas encore, qu’on se plaît à consumer sans ménagement quand on a les deux pieds dedans, et qu’on méprise totalement après les avoir quittées : l’adolescence, roycutanés pour les vrais.
Ode à la jeunesse et à la dépense d’énergie en pure perte, il est difficile de ne pas voir Sunny sans se remémorer avec une force troublante ses années collège. Sunny, c’est un peu comme les agendas des meufs à l’ancienne, bourrés d’autocollants OK podium, de conciliabules entre copines, de « Big Luv Bébé » et « 18e en Force ». Quand une fille écrivait sur ton cahier de texte Zelda pas badboy pour un sou, c’était un peu sa manière à elle de t’offrir son corps. Pêle-mêle, les poufferies, les premières batailles d’eau masculo-féminine et les insultes gratos, peut-être les véritables signes de la sexualité naissante. Quel ne fut pas mon agréable surprise de voir que la classe, indistinctement, pour charrier Na-mi alors que celle-ci se trouvait être la cible de la prof, répandit un universel « haaaaaaaaaaaan », cri passe-partout, à la fois coercitif et répulsif, à l’origine de plus d’une embrouille de merguez et objet de la hantise de chaque collégien normalement constitué qui veut se fondre dans la masse.
Sunny est construit sur le mode du flash-back. Na-mi, cette fois mère de famille, se donne pour mission de réunir son ancienne bande de copine. Chaque retrouvaille est donc l’occasion de raconter un bout de l’histoire de la bande de copine. Chacune a évolué, plus ou moins bien selon les espérances, et leur quotidien tranche singulièrement avec l’éducation de « jeune fille convenable » qui leur était dispensé au sein de leur lycée. Il ne faut pas se méprendre d’époque néanmoins : c’est bien la bande du lycée qui sert de fondement à tout le film, au point que Sunny pourrait très bien supporter une version béta qui n’intégrerait que l’histoire concernant les années 1980. Une espèce de condensé gaguesque et lollesque, bariolé, sapé comme on ne le fait plus. En parlant de sape, une chose est rassurante quand même par rapport au dialogue des civilisations : il semblerait que l’humanité tout entière a traversé les années 80 dans une espèce d’indécision stylistique, généreuse en tentatives, avare en succès, qui donne un cachet unique à cette époque de fin de guerre froide. La personne qui s’est occupée des costumes pour Sunny a fait un super boulot. On se sent complètement dans ces années de pré-modernité, à l’époque où tout était droit, les coupes, les angles, les sapes, etc.
Durant les années 1980, la Corée du sud a été prise à de nombreuses reprises d’un frisson libéral. Les références au contexte de l’époque sont d’ailleurs nombreuses, mais discrètes : une casquette de soldat, une discussion au diner, un plan sur la diffusion de l’hymne national dans la rue. D’ailleurs une des grosses scènes de baston du film (décidément, j’ai l’impression de toujours parler de baston sur ce blog), semble évoquer les manifestations qui ont eu lieu à Séoul en 1987. Pourtant, Mister Kang ne veut pas en tirer une espèce de métaphore politico-affectueuse à la noix. En effet, au sein de l’affrontement entre l’armée et les manifestants, c’est le combat de la bande Sunny contre la bande rivale qui occupe le centre de la scène, tout ça pour exprimer cette espèce de sensation qui fait l’un des éléments les plus caractéristiques de l’adolescence : le temps suspendu. Rien n’existe au-delà du cercle proche, et la politique, affaire des grands, est comme rendue floue par la focale du réalisateur.
Bref, Sunny est un souffle de vie brutal. Un vent, que dis-je un cyclone. C’est grand, c’est joyeux, c’est plein. Kang Chyeong-heol était déjà celui qui m’avait réconcilié avec la comédie sudco. Il faut dire que quand on ne connaît pas trop au départ, c’est un peu difficile de s’y mettre. Un peu potache et direct. Puis Speedy Scandal, la pureté : les situations authentiques traversent les frontières. Speedy Scandal, tout aussi gros succès que Sunny, s’appuie sur les mêmes ressorts que ce dernier : situations identifiables, quotidien banal, circonstances humoristiques, auxquels il faut ajouter, spécifiquement pour Sunny, le regard d’un mec qui se moque un peu des meufs (le « je suis désolé d’être jolie » qu’il fait dire à Suji constituant un must). D’ailleurs, sauf erreur de ma part, Kang Chyeong-heol fait une dédicace au maître d’œuvre de son premier film, Cha Tae-hyun, en utilisant son image comme effigie d’une pancarte faisant de la pub pour des assurances, dans un plan très court. Comme dans Speedy Scandal aussi, l’humour est très corporel : danse, baston, grands gestes, cachettes, comique de répétition, toutes ces techniques font la force du cinéma de la péninsule. La Corée du Sud produit un cinéma dont les personnages ont horreur du vide. Ils se donnent au vrai sens du terme. Et à force de voir gesticuler comme dans Sunny, ça finit par démanger. L’énergie du film est très communicative. Ajoutez à cela du Cindy Lauper ou du Boney M, et vous finissez sans vous en rendre compte en cours de fitness mental, ou impliquant au moins un mouvement régulier de la nuque. Mettez de la musique dans un film français, et vous vous retrouvez avec une bouse de Christophe Honoré.
Bon évidemment, il ne faut pas oublier qu’une comédie sud-coréenne est toujours trop longue de vingt-cinq minutes. Il existe une part incompressible de mélo (i.e. plans rotatifs autour d’un personnage dubitatif, violons, chialerie, etc.). Donc il ne faut pas s’en étonner, ni s’en morfondre, c’est dans le cahier des charges. Perso, je suis devenu insensible à ce buffer.
Sinon Sunny confirme que Kang Chyeong-heol est un réalisateur technophile solidement ancré dans son époque. Comme Speedy Scandal, Sunny débute par une séquence montrant un appartement über-moderne. Speedy Scandal se déroulait dans un monde de l’hyper-connexion, tandis que Sunny présente un monde impatient qui aspire à la connectivité. La technologie radiophonique est mise à l’honneur dans les deux films (Cha Tae-hyung est animateur de radio dans Speedy Scandal, les filles de Sunny utilisent essentiellement cet outil). En fait, c’est comme s’il y avait dans ces films une espèce de fluide qui se transmet au travers des différents médias et qui se communique aux personnages en leur insufflant leur énergie. A cet égard, la séquence de Sunny où les filles, se parlant au téléphone fixe, décrivent les technologies du futur est édifiante. Kang est un mec résolument ancré dans le XXIe siècle : communication, transparence, participation. Un véritable cinéaste 2.0. Au passage, juste comme ça, merci de nous avoir tapé la honte face aux représentants d’un pays qui doit avoir une dizaine d’année d’avance en matière d’électronique. Le coup du micro hanté qui quadruple la voix, alors que les plans de rigueurs s’enchaînent, n’est peut-être pas le meilleur signal à envoyer en direction de l’Asie de la part de la France. Mais bon j’imagine que les organisateurs du FFCF ont d’autres chats à fouetter. Hein.
Voilà, en fait, tout ce long texte pour avouer que j’adore la K-pop en fait, et que je crois que c’est Kang Chyeong-heol qui me l’a faite aimée, involontairement, de manière incidente. J’aime la K-pop j’avoue. Mais je l’aime comme Kang aime retranscrire malicieusement (ou en mode gros foutage de gueule, solution sur laquelle j’aurais spontanément tendance à pencher) la réconciliation qu’il imagine entre deux belles filles : « je suis désolé d’être jolie ». Bref, Sunny m’a donné envie d’ouvrir une section K-pop sur le blog. Voilà c’est dit. Jusqu’ici tout va bien au FFCF.
Par contre, pourquoi Sophie Marceau mec ?
BONUS
Je n'ai pas pu m'empêcher de penser, pendant tout le film, au clip des T-ARA, Rolly Polly, dont le ressemblance avec Sunny m'a paru assez significative...