Petits traités sur le cinéma coréen par Sans Congo et Joy Means Sick. Blog critique cinéma asiatique
Quick, Jo Beom-goo, 2011
Sans Congo, 18 ans, moustache de portugais et survêt’ Lacoste, se faufila entre deux camions d’où débordaient projecteurs et autres pièces de machinerie. Un coup d’œil rapide sur sa droite l’informa que l’homme à la casquette qui montait la garde près de la table régie ne l’avait pas vu. Il fit signe à une ombre longue et fine de le rejoindre. Aucune réaction. Il insista, commença à s’agacer en proférant insultes et menaces dans une langue qui aurait fait pâlir un marine américain et ramassa un caillou.
Joy Means Sick était absorbé par le spectacle qui se déroulait de l’autre côté de la tente dans laquelle il venait de faire une ouverture à l’aide de son couteau papillon. Il n’avait jamais vu de coréenne en vrai et voilà qu’il tombait nez à fesses avec Kang Ye-won. Une goutte de bave était sur le point de tomber sur ses Air Max Triax quand il reçut un coup derrière la tête.
La troisième tentative fut la bonne. Joy Means Sick reçut une pierre de belle dimension en pleine tête et se retourna en se frottant le crâne. Sans Congo l’enjoignit à le rejoindre dans les plus brefs délais et lorsque ce fut chose faite, il compris à son air bovin qu’il était tombé sur quelque chose. « Kang Ye-won », Sans Congo n’en revint pas, il avait un album rempli de photos découpées de la star caché sous son lit, tous les posters de ses films depuis Addicted soigneusement pliés derrière son bureau, attendait pour Noël un petite culotte dédicacée par son idole et c’était ce gros balot de Joy Means Sick qui touchait le jackpot.
« Suis moi ». Sans Congo se releva faire attention à quiconque aurait pu l’observer et avança d’un pas décidé vers la tente. Joy Means Sick le rejoint à l’intérieur. Personne. « Je te jure.. ». « Ta gueule ! ». Sans Congo était furax, c’était assurément la loge de l’actrice, il reconnaissait le manteau qu’elle portait lors du dernier festival de Busan déposé sur la chaise et les chaussures qu’elle avait lors de la conférence de presse il y a deux jours. Pas de doute, il était sur le point de pleurer quand un bruit le fit se retourner en sursautant.
Un petit gros, blanc et gras, entra avec un paquet chips et s'immobilisa en découvrant Sans Congo un manteau féminin sur les épaules. L’espace-temps se figea dans un face à face muet d’une poignée de secondes, puis Joy Means Sick assomma l’imprudent à l’aide d’une pelle qui trainait par là. Il eut une pensée pour leur pote David qui avait du rester chez lui à cause d’une gastro et qui pour sa part préférait les clés à molette.
Le mangeur de chips se réveilla à peu près une demi-heure plus tard, à l’arrière d’un camion débordant de matériel son. C’était la pause midi, son ventre grondait et sa tête était lourde. Il mis quelques temps avant de discerner clairement les deux silhouettes devant lui.
« Désolé man, on savait pas que t’étais un acteur du film. Avec ta gueule… enfin je veux dire comme ça ça se voit pas tu vois, c’est pas évident, surtout un film coréen. On a paniqué t’as vu, on croyait que tu voulais du mal à Kang Ye-won et on est fans t’as vu, on a pas voulu prendre de risque. Ça va la tête ? ». Joy Means Sick parlait trop vite, dans sa tête se mêlait confusément peur et admiration et il ne savait plus ou se mettre. Sans Congo vient à la rescousse en rendant sa carte de cantoch à leur invité. « Tiens. C’est un drôle de nom quand même Illitch non ? ». « Illitch Dillinger tocards, faut dire les deux ensemble sinon le mélange des genres ne fonctionne pas. C’est comme ce monde depuis la fin de la guerre froide, une vraie chienlit. Qu’est ce que vous me voulez les jeunes ? ». « Euh… » Joy Means Sick sortit un petit carnet de rose de sa poche et lui tendit. « Ah bien sûr ! Un autographe ? Pas de problème les gars. Vous savez faut toujours s’occuper de son public. » Joy Means Sick et Sans Congo échangèrent un regard d’incompréhension. « Vous savez quel film on tourne là ? ». « Euh… une pub pour soda avec Kang Ye-won qui reprend des éléments de Quick c’est ça ? ». Le mangeur de chips les regarda en relevant le menton avec un sourire étudié.
Illitch Dillinger : Oui, de Quick c’est bien ça. Quick, de Jo Beom-goo. Quick c’est la grosse production derrière laquelle on retrouve le grand groupe CJ Entertainment. Autant dire que lorsqu’on voit le logo de la CJ apparaitre à l’écran, on sait d’ores et déjà que le film est censé taper le box-office et qu’importent les moyens pour y parvenir. Les « yes men » de CJ, ceux de l’ombre sont là pour offrir du spectacle calibré. Ils débarquent avec leurs fichiers PowerPoint aux réu de la boîte avec les courbes à gogo, entre films qui marchent dans le monde entier, la mèche rebelle qui fait sensation chez les minettes de treize ans et la nouvelle égérie passée au bistouri qui fait mouiller les caleçons des 15-25 ans. Là-dessus, tu prends le producteur de Sex is Zero (1 & 2) et de Haeundae et tu recherches le jeune talent qui ne te prendra pas trop cher pour mettre en scène ton film pop-corn. Les mecs de CJ sont rôdés. Ils sont à l’image de ces clubs de foot avec leurs cellules de recrutements qui suivent de près certains jeunes joueurs au quatre coin du monde. Eux, ils font appel à une cellule similaire dans laquelle ils scrutent à la loupe tous les talents futurs de l’industrie cinématographique coréenne. Les futurs « grands » sont suivis dès les premiers cours en cinéma jusqu’à leur sortie diplômés. Ils réalisent alors des profils de compatibilité au « moule CJ ».
Joy Means Sik : Euh en fait nous…
I.D. : Je sais ! Vous vous demandez si c’est ce qui s’est passé pour Jo Beom-goo ? Et bien pour tout vous dire : oui, mais pas seulement. Pour Quick, ils sont allés chercher un duo avec l’adage en tête qui dit qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Jo Beom-goo, le réalisateur et Park Su-jin, le scénariste. Ce dernier a écrit les scénarios des deux premières réalisations de son acolyte cinéaste. The Bad Utterances (2004) et Ddukbang (2006), deux films qui traitaient de jeunes rebelles qui s’en mettaient plein la figure. Après une longue période d’apprentissage au sein de la CJ et une compatibilité proche de 100% avec leur moule, Quick était né. La suite logique des deux premières réalisations de Jo Beom-goo était là. On suit un ancien rebelle (encore et toujours) qui sait se battre (forcément), livreur express en moto (il y en avait dans The Bad Utterances) qui sous la menace d’une bombe cachée dans son casque est obligé de livrer des colis piégés. CJ offre alors 115 minutes de film spectacle qui sera un succès qu’on pourrait qualifier de limité. Un peu plus de 3 millions d’entrées pour ce blockbuster estival coréen. Mais ce n’est pas si mal compte tenu de la concurrence accrue à la même époque (Sector 7, The Front Line sans oublier les films étrangers).
S.C. : « Vite consommé et vite oublié » quoi…
I.D. : Sans entrer dans la critique du tweet décomplexée qui a pignon sur rue de nos jours, j’en ai bien peur. Si ce blockbuster est un honnête film pop-corn, un divertissement avec son plein d'adrénaline et de comédie qui le parcourent du début à la fin, il n’est pas sûr qu’on se souvienne encore de telle ou telle scène dans quelques mois.
Un long silence. I.D. attendait véritablement qu’on le relance, mais Sans Congo était occupé à envoyer un texto alors que JMS récupérait un enregistreur zoom dans l’un des sacs du camion. Cherchant à détourner l’attention, ce dernier balança une question au hasard.
J.M.S. : Ben pourquoi ?
I.D. : Hum… bonne question. Comment pourrions-nous résumer la chose ? Un manque flagrant d’identité propre ? Grossièrement, c'est un peu un mélange de Taxi, une bessonade en moto et de ces films avec bombe prête à exploser, où il ne faut absolument pas s'arrêter sinon bada-boom. En gros, tout ce qui a pu se faire des frères Lumières à nos jours. On y retrouve des scènes qui font penser à Matrix et à My Sassy Girl, sans oublier celle d'une explosion tout droite sortie de Die Hard 3. C’est un patchwork d’idées reprisent ici et là jusque dans cette « grosse scène » vers la fin qui mélange Piège à grande vitesse et Tube. Difficile pour Quick alors d’afficher une prestance qui marquera les esprits. On se souvient toujours des originaux jamais des copies.
S.C. (que le bonhomme commençait à amuser et qui s’essaya à une imitation en dégageant de son front une mèche qu’il n’avait pas) : Nous sommes d’accord qu’un blockbuster suit un cahier des charges bétonné et dont il est difficile de sortir des cloisons érigées. Pourtant, le cinéaste aurait pu apporter une touche propre. Qu’en est-il réellement ?
I.D. : On pourrait qualifier la mise en scène de Jo Beom-goo comme faisant partie de ces réalisations très, trop calibrées. De ces réalisations typiques qui sont monnaie courante pour ce genre de grosse machine à pognon. Attention ! Il n’y a rien de péjoratif dans ces derniers mots. En gros, il n'y a pas de touche personnelle de l’homme qui se trouve derrière la caméra. X ou Y, c’est la même chose pour peu qu’ils connaissent leurs gammes en la matière. Après, je n’enlève en rien au fait que Jo Beom-goo est un bon artisan. Un bon point lorsqu’on sait que la majorité de ses confrères (et sœurs) sont des tâcherons.
J.M.S. (se lançant à son tour) : Et qu’en est-il du scénario ?
I.D. (ravi au point de lécher les miettes de chips qui lui restait autour de la bouche) : Ah ! Park Su-jin est tellement engoncé dans le « moule CJ » qu’il n’offre qu’une trame connue et déjà-vu ici et là. Il l’alimente d’histoires mixées, vues et revues. L’intrigue est jouée d'avance. Elle est sans surprise et chaque rebondissement se voit venir de loin. Mais ! Si l’on est bon public, on peut se laisser porter. Cerveau off et le tour est joué. Par contre, si vous êtes peu enclin à la comédie d’action sud-coréenne avec ses acteurs qui surjouent alors… c’est le drame.
S.C. (qui en fait des tonnes): On aurait pu espérer que le casting apporte une véritable consistance à l’ensemble. Un vrai plus…
I.D. (plus excité et prétentieux que jamais): Casting ? Il y a des têtes connues des cibles marketing. Mais un casting ne fait pas tout et vous savez. On y voit des acteurs stéréotypés pour des rôles qui le sont tout autant. On y retrouve dans les rôles principaux la belle gueule Lee Min-ki. Il a notamment œuvré dans de nombreux drama avant de porter la casquette d’acteur-cinéma. Son jeu a-t-il évolué depuis le petit écran ? Non. Il nous sert le jeu classique et usé jusqu’à la moelle du rebelle de service avec la coupe de cheveux qui va avec. Ici, il y interprète un ancien motard qui était en mode crise d’adolescence avant de ranger des voitures comme livreur. Quant à l’actrice qui lui donne la réplique, elle joue les potiches avec le jeu de Jeon Ji-hyeon, Gianna Jun à l’internationale sauf que ce n'est pas Jeon Ji-hyeon. La même moue, tout. Presque tout. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Elle est si peu charismatique. Kang Ye-won ! Pourtant, ce n’est pas une inconnue. Elle a trainé son minois du petit au grand écran et parfois dans des productions qui ont fait parler d’elles, dont un film qui a fait pleurer un ami proche. Cette dernière a par ailleurs chanté l’un des morceaux de l’OST du film. Pour les seconds rôles, on retrouve les éternels seconds couteaux qui avouons-le, tiennent le cap. Même si encore une fois ici, c’est globalement du copier-coller d’une interprétation à l’autre. Minimum syndical et zéro pointé pour la créativité. Vous verrez donc Kim In-kwon en bouffon de service et Ko Chang-seok en flic lourdaud… de service.
S.C. : Putain comment tu parles de Kang Ye-won !
J.M.S (coupant son ami, les mains dans une caisse de micros et ne voulant sortir le bonhomme de sa transe) : Le film est marrant ?
I.D. (un peu déstabilisé) : Des scènes pas mal, en effet. Marrantes, oui surtout une qui m'a bien fait rire pour le coup. Normal, elle était courte. Et puis, il y a aussi ces scènes qui auraient du l'être et ne le sont pas et… ce n’est donc pas marrant, juste lourd. Je précise tout de même que je suis bon client. Du coup, pari à moitié réussi.
J.M.S. : Suspens ?
I.D. : Pas vraiment.
J.M.S. : Action ?
I.D. : Hum… bonne question. On peut dire qu’elle tient la route mais elle reste sans plus. Disons qu’on a vu mieux. Je pense notamment à une scène qui se passe en majorité sur une autoroute. Elle ne sert strictement à rien au déroulement du film, si ce n'est nous en mettre plein la vue à base de carrosserie froissée et de voitures qui se retournent. Ils avaient sans doute trop budgété. Ils se sont fait plaisir. C’est sympa mais vain.
J.M.S. (jetant un coup d’œil désespéré à Sans Congo qui faisait toujours la tête) : En gros ?
I.D. : Une comédie d'action qui ne marquera pas les annales mais qui a au moins le mérite de nous faire passer le temps. Tout de même un peu long par moment. Oh oui ! J'oubliai les révélations du mythique cahier des charges CJ Entertainment auxquels on s'est habitué avec le cinoche sud-coréen.
J.M.S. (soulagé d’avoir une piste mais mauvais acteur): Oh oui ! Lesquels ?!
I.D. : « Première révélation ». Elle concerne le méchant ou pourquoi est-il aussi méchant ?! Parce que ! Lors d'un fameux flash-back, on comprend toute la haine qui l'anime. Tin-tin-tin ! « Deuxième révélation ». Elle concerne la relation amoureuse entre nos deux protagonistes. Ou comment le « bad guy » qui est en fait gentil, eh bien il est trop « choubi du love ». Toutes les filles sont obligées de faire à ce moment-là : « Ooooh, il est trop mignoooonnn..., t'as vu ? En fait c'est qu'il était pas salaud. Il s'était tout simplement... » Je ne SPOILERAIS pas !
S.C. (venant finalement à la rescousse de JMS qui s’attaque aussitôt au poches de l’éloquent mangeur de chips) : Sinon tes dernières impressions sur le film ?
I.D. : Il y a une petite chose qui m'a tout de même embêté. Durant le générique final, on a le droit au « behind the scene » des cascades et donc des cascadeurs, cela va de soi. On y montre et on y voit combien les cascades étaient périlleuses. Combien elles étaient super-crash-tronche pour parler familièrement, de combien les cascadeurs, ce sont des héros. En somme, une forme de respect louable de la part du réalisateur. Je trouve sympathique comme idée qu'on puisse mettre en avant un métier dont on ne parle pas vraiment. C’est aussi une façon de faire à l’image de HK et de la Thaïlande sauf qu'ici, il y a ce côté sensationnaliste qui m'a interpellé. Je n’avais pas l’impression qu’on nous montrait ces images pour y découvrir les prouesses de ces cascadeurs. Un peu comme celles à la fin des films de Jackie Chan. L’impression que j’avais en voyant ces images, c’était l’impression de voir un réalisateur avec un problème d’égo tenter de légitimer les scènes d’actions de son film. De vouloir nous les vendre comme des scènes « incroyables » parce que des types prenaient des risques incommensurables. (JMS montre à Sans Congo le putain de pactole qu’il a trouvé dans les poches d’I.D. : un porte feuille avec 6 euros et une photo de Gianna Jun, trois bonbons schtroumphs, des clés, un vieux 3310…) Comme si ces risques pris justifiaient et rendaient obligatoire qu’on adhère au film dans sa globalité. Pour nous dire combien son film est fort d’un point de vue de l’action, on nous montre combien c’est vrai. (Sans Congo fait signe d’y aller). C’est un déballage de démonstrations qui finalement me chagrine. (JMS acquiesce) Comme pour nous dire : vous avez vu comment cette scène, elle était balèze. Le cascadeur, il s'est ouvert le bras. (Ils avancent les portes du camion les sacs à dos bien remplis). Ces mêmes cascadeurs ont failli y laisser leur peau. Mouais (les voyant s’éloigner ID se met à parler plus fort). Ce sentiment, il a vraiment pris tout son sens avec l’actrice principale qui grimace d'horreur face à ces casse-cous ou lorsqu'elle rend visite à un cascadeur qui se trouve à l’hôpital avec le reste de l'équipe du film. (Ils ouvrent les portent et sortent, il fait nuit, ID crie presque). Ca tirait tellement dans le lacrymal de pacotille ! C’était tellement faux ces sentiments dégoulinants ! (JMS marque un temps, revient vers ID un doigt sur la bouche pour lui demander de baisser le ton). Bref. Je ne trouve pas trop mes mots pour exprimer au mieux mon ressenti face à cela… Du spectacle encore et toujours (JMS lui arrache des mains son petit carnet rose qu’il range dans sa poche).
J.M.S. : Putain mec nous on voulait juste un autographe de Kang Ye-won !
I.D. : Mais…
J.M.S. : Tu joues quel rôle d’ailleurs ?
I.D. : Ben j’étais figurant dans une scène de fast-food qu’ils ont coupé au montage sur Quick. Paraît que ma façon de manger dégoûtait les spectateurs… Enfin j’ai gardé mon badge et ils utilisent le même sur cette pub, je me suis dit qu’au moins je pouvais gratter un repas gratuit…
S.C. : Vas-y, on se casse.
JMS le rejoignit et sauta hors du camion. Au moment de fermer la porte, il fit signe à Sans Congo d’arrêter.
J.M.S. : Et sinon tu penses quoi d’Oldboy ?
I.D. (ravi qu’on s’intéresse à nouveau à lui) : Je me suis fait chier ! Disons que j'ai apprécié le film jusqu'à ce qu'il se barre de sa prison. Après c'est du PCW, c'est pompeux. Bizarrement, j'ai pas accroché. J'aime pas trop le cinéma de PCW.
J.M.S. (s’adressant à Sans Congo) : C’est bien ce que je pensais : un hérétique.
S.C. : (les mains déjà plongées dans son sac à dos) : Dire qu’on a failli passer à côté…
Armés chacun d’un marteau, JMS et SC pénétrèrent à nouveau dans la camionnette, prenant bien soin de fermer la porte derrière eux.