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Petits traités sur le cinéma coréen par Sans Congo et Joy Means Sick. Blog critique cinéma asiatique

Fantasmes - L'amour comme on ne le fait pas

FantasmesJang Sun-woo – 1999

fantasmes 3d dvd

 

 

« She tried to kiss me but I walked away

      Went back to my planet and called it another day

Call it another way of being in love

Or call it being afraid of being lonely »

 

 


 

« I’ll miss you Miss Brooke ! » lança Joy Means Sick en donnant en une petite tape sur le postérieur de l’hôtesse d’accueil de l’établissement spécialisé de Santa Barbara. Jenna avait les larmes aux yeux, un décolleté plongeant et la gorge serrée. « Oh don’t be like that, I might come back you know ». Il dévisagea la jolie  poupée tremblotante avec un sourire étudié et se dirigea d’un pas léger vers la vieille Porsche qui l’attendait discrètement une dizaine de mètres plus loin. L’air de la Californie lui faisait du bien, il se sentait jeune à nouveau, il enfila ses Rayban.


David D. lui ouvrit la portière côté passager. « Hi David ». L’acteur avait l’air fatigué, il démarra sans dire un mot. « I told you I never wanted come back here ». « Come on David, that’s where we met,  good old times ». JMS se sentait taquin, il lui piqua les côtes de la pointe de son index. David serra les dents et le volant. Ils restèrent ainsi quelques minutes, silencieux, à regarder le paysage défiler derrière les vitres fumées. « I think I liked you better when you were a porn addict David… Here, I have a little gift for you ». JMS sortit de sa poche intérieure le DVD de Fantasmes de Jang Sun-woo. « You can watch it with your wife, I’m pretty sure she’s gonna enjoy it ». David pila net et jeta un regard furieux au rédacteur de KBP. La pique était plantée, nul besoin de s’éterniser. « Thank you for the ride bro’, I leave this shit right here – il glissa le DVD dans la boite à gants tout en ouvrant la portière – I’m sure you’re gonna need it sooner or later. Bye David ! ». La Porsche démarra dans un nuage de poussière et laissa JMS, son costard Armani et ses Rayban sur le bord de la route. Il jeta un coup d’œil à sa Rolex et scruta l’horizon. Une nouvelle voiture approchait, pile à l’heure.


La limousine s’arrêta délicatement devant lui et une jolie brune le fit monter. Le visage de JMS était désormais fermé. « A l’aéroport Miss Grey ». Il avait enfin retrouvé la piste de Sans Congo, fini de jouer.

 

Fantasmes Jang Sun Woo3


Fantasmes, après le doigt d’honneur politique brandi en 1996 avec A Petal, Jang Sun-woo avait repris du service et ses obsessions en adaptant au cinéma un bouquin qu’il avait aidé à écrire et qui avait valu quelques mois de taule à son auteur, Jang Jun-il. Ce qui n’était qu’une partie de A Petal prenait ici toute la place, l’apprivoisement de deux corps qui se défoncent au sexe SM come d’autres à la CC. A Petal présentait deux êtres sauvages qui se reniflent, s’attirent et se rejettent dans un bain de violence symbole du passé trouble d’un pays traumatisé. Rencontres animales et sauvages où il fallait lire entres les ligneq des coups et des griffes pour déceler l’amour, ce concept désormais au cœur de Fantasmes mais filmé sous un angle bien plus trash qu’à l’habitude.


En Corée ce sont les plus sages qui se laissent aller au excès le plus facilement, les mieux domptés qui brisent leurs chaines à la première barre à mine, à la première pulsion animale. Ainsi Y, jeune lolita lycéenne dans son uniforme bien repassé, pique le fantasme de sa copine Ourie en rencontrant en premier J, l’homme avec qui elle entretient des relations sexuelles téléphoniques depuis quelques temps. Elle est timide et perdue et à peu de choses près on aurait pu la retrouver dans Virgin Suicides. Sophia Coppola n’étant pas coréenne, l’histoire commence quand Y perd sa virginité avec un quasi inconnu dans une chambre glauquos. La scène est crue, la pièce baignée de lumière et la frontière avec le porno assez fine. Caméra à l’épaule, mobile, très peu de montage ou alors en jump-cut, unicité du point de vue, grand angle impitoyable et corps imparfaits, on se demande d’où vient le titre. « Fantasmes » ... sérieux ? D’ailleurs Google translate nous donne « Mentir » comme traduction du titre coréen, c’est aussi le dernier mot prononcé dans le film, le titre en anglais et certainement plus adapté comme titre. Mais moins aguicheur aussi. En même temps va essayer de bicrave un film coréen provoc et arty avec en tête d’affiche deux parfaits inconnus intitulé « Mensonges »…

 

Fantasmes Jang Sun Woo5


Jang Sun-woo est un fan de Nabokov. Sa lolita à lui a 18 ans (23 ans en vrai), c’est une #débutante (attention la série de mots clés porno commence ici) dans tous les sens du terme. Actrice débutante et jeune fille #vierge dans un film qui tourne autour du sexe, elle tombe dans le sexe comme on tombe dans la drogue. Et s’enfonce, et s’enivre. Elle n’a pas un physique parfait, elle est même moins belle que sa confidente Ourie, mais au final et un peu comme American Beauty, ben c’est elle qui tire ses coups, et y a de quoi faire rougir un abonné youporn. On reprend au rythme des cartons qui articulent poétiquement le film :


« Premier trou » : #virgin, #first time. : Il lui renifle les aisselles, les lèches « on dit que le diable n’a pas d’odeur ».


« Deuxième trou » : #blowjob


« Troisième trou » : … hein bon ça va on a compris, c’est la complète, œuf-jambon-fromage quoi. Indice : c’est pas l’oreille. Jang Sun-woo est fan de Nabokov, sa poésie a lui est un peu plus glauque, son époque aussi.


« Interview » : #casting, un retour sur la question de la pudeur évoqué durant le casting (réel ou fictif ? ) de l’actrice.Jang Sun-woo lui demande de se mettre nue et elle commence par refuser. « Mais il y a beaucoup de scènes de nu dans ce film… », « oui, allez, allons-y, laissons la pudeur, tout ça, allons-y ». Ca sonne comme une prise de conscience et le parallèle avec le personnage est troublant.

 

Fantasmes Jang Sun Woo6b


« 2ème rencontre » : #brutal, #SM,  « je la coupe t l’emmène avec moi ». Le choc de l’exhibition de corps nus et de pratiques intimes digéré, la sauce prend, on arriver à regarder au delà de, à lire entre les lignes. La réplique fait évidemment penser à L’Empire des Sens d’Oshima mais aussi à Gilles Deleuze qui dans l’un des textes de Critique et Clinique envisageait le pénis comme un organe féminin ou plus exactement comme un organe des femmes, organe qui se serait échoué sur le corps des hommes (et qui ne demanderait qu’à retourner à sa place, mais la lecture est ancienne et les souvenirs peu précis). La voix-off en plein ébat, la voix-off qui ressemble à un extrait d’interview. A l’inverse des films de Terrence Mallick ce n’est pas une voix interne, c’est une voix qui se destine ouvertement à un autre, spectateur ou interviewer, au choix.


Le film devient plus intello au moment où J confesse ses penchants sadiques. « Ca me fait mal aux fesses mais je suis heureuse », le simple fait que l’on ne rigole pas suite à cette réplique est une preuve que l’on est entré dans le délire du réalisateur. Plus âgé, J est dans le film comme dans la vie, un sculpteur. Maigrelet et très loin des canons de la beauté grecque, c’est le maître qui ne demande qu’à se faire dépasser. Il aime frapper et apprend à aimer se faire frapper, et même à mendier les coups.

 

Fantasmes Jang Sun Woo8


La première fois qu’elle était rentrée chez elle, sa copine l’attendait pour la bastonner. « Connasse, tu m’as piqué mon fantasme » (en résumé). On entendait « coupez »  mais la caméra et le son continuaient pour nous montrer que même après la prise, l’actrice blottie contre un muret, continuait de pleurer.


La deuxième fois, elle raconte tout à Ourie et lui montre même ses bleus. Elle la fait croquer, virtuellement.

 

« 3ème ou 4ème rencontre » : #hotel, #69 et la première scène explicitement non simulée.


L’unique fondement de l’histoire d’amour de ces deux êtres, c’est le sexe et comme pour la drogue, la seule façon pour eux de continuer, c’est d’aller plus loin, encore est toujours. L’excès est relatif à l’expérience qui le précède et délicieusement vertigineux, ils perdent pied mais sans jamais se faire (trop) de mal. Simplement, comme tout feu ardent, ils se consomment, et consument. L’amour quoi.

 

Fantasmes Jang Sun Woo10


« Plusieurs orgasmes et après le diner encore » : le vrai trip en huis clos dans une chambre d’hôtel, accélérés et musique électro à l’appui. Conséquence, une scène de renierait pas le Cronenberg de Metropolis : « Comment est mon anus ? Il est tout déchiré non ? » demande candidement Y à Ourie en se penchant en avant.


Ca bascule, ils se quittent pour 3 mois (« 3 mois plus tard ») et se retrouvent encore plus fort. La caméra insiste sur les corps meurtris et pourtant leur histoire est heureuse. Pas de jugement, c’est l’une des grandes qualités du film que de se contenter de filmer une histoire d’amour, d’amour organique, impossible, physique, chimique et liquide, mais d’amour quand même. L’autre grande qualité du film, c’est sa musique. Un putain de choc, dès le générique de début, de quoi donner envie de se pencher sur les artistes underground du pays de la K-pop.


En tout cas les deux tourtereaux commencent à trouver leur rythme et vont ramasser leurs branches d’arbres dans les parcs avoisinant afin de ne jamais être à court de munitions pour leurs soirées coquines. Un vieux couple et quand il doit partir en France quelques temps (« J’repars pour le France, invité par l’association française des beaux arts »), elle l’accueille froidement en lui avouant avec une nonchalance étudiée « j’ai sucé un vieux ». La punition souhaitée tombe quand ils se retrouvent en tête à tête, un peu trop fort à son goût.

 

Fantasmes Jang Sun Woo13


Le sexe et la violence sont un peu le sel et le poivre du cinéma. Quand ça manque un peu de goût, suffit de saupoudrer le tout de sexe, si ça manque de piquant, on rajoute un peu de violence. La violence est truquée, le sexe est simulé, comme le veut la bienséance des salles obscures. Quelques malotrus ont bien osé brisé les règles (le tag « film contenant des scènes sexuelles explicites » abritent pas moins de 270 contrevenants), le genre reste plutôt marginal et le résultat souvent décevant. Dans Fantasmes, on reste très longtemps dans l’incertitude. Il faut attendre au moins la moitié du film pour être certain que tout n’est pas simulé mais bien évidemment l’intérêt du film n’est pas là.


« Hier en bouffant ta merde, mon cœur battait très fort ». « C’est là que j’ai compris que tu m’aimais ».


Le grand final, c’est une fuite de motels et en motels, où elle lui tatoue artisanalement « Je t’aime » à l’intérieur de la cuisse. Une douleur insupportable, son Everest à lui. Le sadique est de plus en plus masochiste, l’élève a dépassé le maître. L’élève a même réussi à se débarrasser de son frère et va reprendre ses études. « Manche de houx » : Elle a finit son éducation parallèle et renvoie Papy chez bobonne à Paris où elle lui rendra une ultime visite avant de déménager à Rio (comme ça le SPAM est total).

 

Fantasmes Jang Sun Woo16


« Ma femme m’a demandé ce qu’était ce « mon amour » tatoué sur mes cuisses. C’est alors que j’ai commencé à mentir ». Fin, générique et musique de dingue.


Fantasmes, c’est tout un tas de parties qui s’additionnent dans un film aux allures expérimentales. On y retrouve quelques motifs de A Petal, notamment la porosité de la frontière en le fictif et le réel : des scènes de sexe clairement simulées en côtoient de tout aussi clairement explicites, un extrait de casting succède à de la pure fiction, une voix off en mode interview s’introduit en plein milieu d’une scène d’amour et la baston nocturne entre les copines se poursuit même après le « cut » du réalisateur. Expérimental, si ça tant est que cela signifie quelque chose, le film l’est non pas parce qu’il s’aventure sur des territoires jamais explorés, mais parce qu’il fourmille d’idées qui ferait pâlir de peur la plupart des réalisateurs/producteurs/chefs op’ professionnels de la profession. Fantasmes, comme son auteur, est jusqu’au-boutiste et c’est cela que l’on aime dans le cinéma coréen. Choi-min sik qui se coupe la langue, Y qui rend une dernière visite à son amant à Paris et qui se présente en habit d’écolière avec un manche de houx taille xxl pour lui donner la plus belle fessée de sa vie. Et après 1h50 de film, de sexe et d’ecchymoses, même moi j’y vois une belle preuve d’amour.

 

Fantasmes Jang Sun Woo21


 

 

QUELQUES EXTRAITS EN BONUS (AMES SENSIBLES S'ABSTENIR)

(impossible d'inclure les vidéos dans l'article, il faudra se contenter de liens qui renvoient sur vodkaster)

 

LE COTE INTELLO

 

LE COTE ARTY 

 

 Et plus encore (le côté érotique avec la liste de toutes les vidéos)

 

 

Quelques images pour notre série sur LES OUTILS DU CINEMA COREEN

Fantasmes Jang Sun Woo12 

Fantasmes Jang Sun Woo7

Fantasmes Jang Sun Woo17

 

 

Et pour finir, l'affiche internationale, plus sage et paradoxalement plus appropriée.

kinopoisk.ru-Gojitmal-628076

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I
C'est tout de même autre chose que "Quick", "Café Noir" et "A Better Tomorrow", le remake. Comment se fait-il que je sois passé à côté d'un tel film qui me rappelle d'une certaine façon toute la<br /> déviance que pouvait avoir certains Cat.III HK ?! Une sympathique découverte que les outils employés ne font que renforcer.
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