Castaway on the moon, Lee Hae-joon.
Parler à son banquier avant de se suicider, cheum comme soulagement de conscience. C’est pourtant ce que Kim Seung-Keun (Jung Jae-young, qu’on peut voir notamment dans Green Fish, Die Bad, Silmido, Welcome to Dongmakgol) se résout à faire avant de passer l’arme à gauche. Chronique classique d’un salaryman qui pète un plomb. Tu es né de la rivière Han et tu retourneras à la rivière Han. Encore un film qui commence autour de cette rivière diriez-vous. Triste époque.
Problème: Seung-keun trouve le moyen d’échouer, même dans son suicide. C’est pas les gars de France Telecom qui se seraient ratés sur un truc aussi simple (propos que je retire si : (i) FT est sponsor du FFCF ; (ii) un péquenaud de FT s’amuse à lire nos billets), à croire que le guide du suicide japonais n’a pas trouvé son traducteur au pays du matin calme. Si l’affiche du film n’avait pas achevé de vous convaincre, vous serez définitivement acquis à l’idée que Castaway on the moon ne fera pas de mal à une mouche. Un jus de fruit bien frais.
Onirisme oblige, Seung-keun se retrouve dans une espèce d’île, comme s’il était passé dans une autre dimension. Un délire à la Mary Poppers. Pour les habitués du genre, Seung-keun se retrouve dans un « intermonde » qui n’est pas sans rappeler la passerelle post-futuriste au sein de la BNF qui permet de rejoindre la salle de déjeuner/pauses cafés. Quelque chose comme un pied dedans, un pied dehors. En effet, Seung-keun enfermée dans une île déserte et sauvage, à portée de gratte-ciels, quand ce n’est pas à portée de touristes navigant sur la rivière Han. Comble de l’incompréhension: un touriste le prend en photo alors qu’il l’appelle à l’aide.
Ce décalage sur le mode « pas fait pour cette civilisation » permet d’introduire le second personnage du film (Castaway on the moon est construit en parallèle), Kim Jeung-yeon interprétée par l’actrice Jung Ryeo-won, plutôt coutumière de la paire de chaussures « comédie-drama ». Jeung-yeon est une vraie cas soce’, et la musique qui tourne sur les plans qui la concernent ne sont pas sans rappeler les élucubrations d’Amélie Poulain. Une rapide description permettra de s’en faire une idée plus juste : jeune femme recluse derrière des persiennes poussiéreuses, otaku fondamentaliste, elle vit au travers de l’internet, grâce auquel elle nous montre que « tout est possible » (au terme d’une séquence techniquement assez intéressante); elle ne mange que du maïs Géant vert (encore du product placement français, c’est étonnant quand même, à moins que cette marque ait été choisie pour insister sur le caractère étrange du comportement de Jeung-yeon; c’est vrai qu’avec du recul, c’est bizarre comme marque « Géant vert »), une ration 172 calories qu’elle s’oblige à dépenser en 3000 pas, et une ration de 525 calories qu’elle dépense en 6000 pas. Elle dort dans du papier bulle dans un placard de sa chambre et n’est pas sortie de chez elle en 3 ans. Elle observe la lune par télescope, et se persuade qu’elle est en train de tomber amoureuse d’un alien après avoir aperçu Seung-keun sur son île déserte.
Voilà quoi.
(photo Insecte Nuisible)
Donc deux ratés cosmiques qui comme vous l’imaginez vont entamer une relation à distance. Sans se la donner genre blasé, la relation à distance est un topos assez répandu dans le cinéma sud-coréen. Dans Windstruck, l’amant disparu était représenté sous la forme d’un courant d’air (bon c’est vrai que c’est moins classe que Zeus qui se transforme en pluie d’or pour Danaé). Il Mare, plus technique, représentait une histoire d’amour à 3 ans de décalage temporel (vaut mieux être précis pour les rendez-vous). Si vous pensez à d’autres films, n’hésitez pas à vous manifester, il y en a un paquet dans le genre.
Castaway on the moon raconte donc l’histoire d’amour pleine de farce de deux ratés qui ne se seraient probablement pas rencontrés autrement. Ils se trouvent chacun dans un cocon : Seung-keun dans son île déserte qu’il finit par apprivoiser et ne veut plus quitter, Jeung-yeon dans sa chambre au sein d’un lebensraum particulièrement exigu. Comme ça c’est peut-être anodin, mais on se souviendra que dans Natural City, R et sa copine cyborg Ria se font un ciné-privatif-cocon au centre d’une gare bondée qui leur permet de se transporter hologrammatiquement dans un cadre idyllique. Et bah c’est la même idée. Une chose est sûre, c’est qu’ils ont tout les deux fait sécession avec le reste de la société. L’essentiel du film se déroule à raconter l’ingéniosité que déploient l’une et l’autre pour communiquer et rester invisible. Du coup, c’est souvent le prétexte à des gags bon enfant. Le personnage interprété par Jeung Ryeo-won évoque très fortement le prétendu cyborg joué par Im Su-jeong dans I’m a cyborg but that’s ok pour vous donner un peu l’état d’esprit du film. D’une manière générale d’ailleurs, Castaway on the moon s’inscrit dans la même tonalité que le film de Park Chan-wook, même si : (i) PCW est inégalable; (ii) le film de Lee Hae-joon est moins sombre.
En fait, ce film donne la pêche, comme son premier film Like a Virgin d’ailleurs. Il y a une sorte de militantisme sympa dans ces deux films. Un truc qui n’est pas grandiloquent, qui n’invoque pas de grands principes, mais qui résiste à sa manière, de manière souple et intelligente, à toutes les injonctions aliénantes du tambour social. Et Lee hae-joon ne donne pas de leçon, ce qui le rend tout à fait sympathique. Dans les deux films, il présente des gens normaux, pas spécialement stylés, ni prophètes en devenir selon les modèles « fausse moche », « maître en arts martiaux qui s’ignore », « louseur qui finit par obtenir sa promotion parce qu’en fait c’est un génie », « méchant antipathique mais quand même il faut comprendre sa douleur son père le fracassait lorsqu’il était enfant ». Les personnages de Lee Hae-joon sont d’une banalité confondante (bon ok peut-être pas Jeung-yeon). Ils essaient de faire de leur mieux pour dépasser cette espèce de misère que tout le monde se voit infliger sans jamais véritablement en connaître la cause. Du coup, la mimésis tourne à plein régime. Parce qu’en acceptant de prendre au sérieux le film, on se rappellera forcément de petites galères qu’on a tous connues, qui font chier, et qu’on essaye de résoudre sans appeler les casques bleus. Au bout du compte, ses personnages sont extrêmement attendrissants : ils se transforment en agissant par acte de volonté, même s’ils se coltinent des tares assez lourdes. Esprit Coubertin quoi. Dans Castaway on the moon, Seung-keun se révèle être un véritable Robinson Crusoé (il se crée une plantation pour fabriquer des nouilles, parce qu’il rêve de se faire un plat de nouille), tandis que Jeong-yeon déploie des tonnes de créativité pour communiquer avec son « alien », ce qui implique pour elle de sortir de sa chambre en mission commando.
Bref, un film extrêmement sympa qui donne la pêche et qui est salutaire en ces temps moroses. C’est un peu le même effet qu’Un héros très discret de Jacques Audiard : à la fin du film, on a l’impression d’avoir la force de faire plein de trucs. C’est très spinozien comme idée : les passions positives entraînent le positif, se coagulent au positif, composent une grosse omelette positive qui finit par augmenter la puissance d’agir. Positive attitude comme dirait Jean-Pierre. Par ailleurs, le film est bourré d’idées originales et de séquences métaphoriques. Lee Hae-joon exprime par les images tout ce qui peut l’être, et fait l’économie de propos foireux. Bref, un film qu’on vous recommande très chaudement de découvrir.
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