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Petits traités sur le cinéma coréen par Sans Congo et Joy Means Sick. Blog critique cinéma asiatique

Ashamed (FFCP 2012) - Prend garde Pedro

Ashamed, Kim Soo-Hyun, 2011

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Ashamed, c’est déjà un plaisir coupable à la base, un film qui te drague avec une bande annonce improbable, une musique qui titille nos papilles d’ados des années 90 et un festival d’écharpes façon arc-en-ciel, le double rainbow perso de notre poto Insecte Nuisible. Dans la salle on nous présente le réalisateur comme quelqu’un qui aime s’appuyer sur une narration complexe et une forme ouverte et au final ça semble suffisamment neutre et précis pour caractériser le film. Par exemple, Memento c’est une narration complexe, mais pas une forme ouverte, et du côté de la narration simple avec une forme ouverte, y a peut-être le cinéma de Kitano. Vous dire qu’au milieu des deux y Ashamed, ce serait quand même vous prendre un peu pour des cons.

 

 


 

 

En gros, c’est une histoire de flash-backs incessants mais pas chronologiques et faut s’accrocher pour faire de même avec les différents wagons de l’histoire. Il ne s’agit pas de remonter le fleuve comme dans Peppermint Candy, mais de sonder une sorte de lac de souvenirs par à-coups successifs. Du coup pour relater tout ça dans l’ordre (du film) c’est un peu galère, autant le faire dans l’ordre chronologique parce que malheureusement, on ne peut pas dire que les différentes strates chronologiques se nourrissent beaucoup entre elles ou en tout cas pas de manière inattendue. Du coup on va la faire en mode cours de physique de lycée.

 

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A t=0 (soit le temps présent du film même si certains s’indigneront en rappelant que le cinéma est toujours au passé), c’est l’histoire d’une prof d’art qui cherche une modèle qui puisse à la fois émoustiller son imagination et battre des records d’apnée. On apprend plus loin dans la film la raison de ce qui transforme en casting sauvage dans un sauna du coin : marquée par un fait divers - l’histoire d’une future mère tuée d’un coup de fusil et dont que le bébé aurait continué de remuer de longues minutes après sa mort – elle s’est mise en tête de faire une séance photo sous-marine, genre d’allégorie du fœtus, de la vie et de la mort. Elle arrête son choix sur Yoon Ji-woo, la pote d’une de ses étudiantes un peu rebelle, et on a nos trois personnages principaux de t=0 qui se barrent à la plage et qui, à cause d’un climat peu clément, vont devoir papoter en attendant de plonger.

 

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A t=-1, c’est l’histoire résumée dans le synopsis du site du festoch, une sorte d'exploration du passé de Ji-woo qui s'articule autour d'une romance lesbienne : « Yoon Ji-woo est employée dans un grand magasin. Son travail ne l’enchante guère, et sa vie privée n’est pas beaucoup plus joyeuse. Un jour après le travail, alors qu’elle pense au suicide, elle jette un mannequin du toit de son magasin pour regarder sa chute. Kang Ji-woo est quant à elle pickpocket dans le métro. Un jour, elle se fait surprendre par un policier en civil. Alors qu’elle tente de s’enfuir en voiture avec un complice, sa voiture heurte le mannequin tombant du ciel. Les deux jeunes femmes finissent ainsi menottées ensemble. » 

 

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Et le film, ben c’est une sorte d’allers-retours permanents entre les deux espaces temporels, rien de foufou a priori si le réalisateur n’avait pas décidé qu’entre t=0 et t=-1 il s’amuserait comme un petit chenapant à naviguer partout et souvent sans prévenir, attitude gaillarde mais pas vraiment condamnable, comme disait feu Robert Bresson dont les Notes sur le Cinématographe sont en soldes permanent chez Gibert : « créer ce n’est pas inventer des choses totalement nouvelles, c’est tisser entre deux choses préexistantes des liens nouveaux ». Faite de mémoire, la citation est plus qu’inexacte mais l’idée s’applique bien au travail de déconstruction et de montage opéré par Kim Soo-hyun dans Ashamed.

 

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Au milieu de tout ça, on remarquera (dans une liste pas forcément très complexe mais au moins ouverte) :

- une interminable discussion dans un restaurant chinois qui finit heureusement par partir en cacahuète et se ponctue par un magnifique « you fucked my wife ? », « Is my son your son ? », « Am I your fucking son too ? » (évidemment en coréen, ça c’est les sous-titres qu’on avait) qui laisse entrevoir un potentiel de dialoguiste trop peu exploité.

- quelques zooms qui heurtent les mirettes et dont on n’ose pas penser qu’ils rendent hommage à HSS

- sûrement l’une des photographies (de Kim Ji-eu) les plus réussis du festival (pour l’instant), avec des gros plans parfois étonnamment bien léchés et une variation de styles et de palettes qui n’enlève rien à la cohérence du tout (au niveau de l’image hein) : couleurs pastels sur la plage, intérieurs et nuits chaudes près du monastère, filtres doux et teintes désaturées sur la première scène d’amour, ton gris-brun lors de la fuite dans la forêt, couche verdâtre qui accompagne la décrépitude de leur relation…

- une scène d’amour lesbienne filmée d’abord de façon lente et pudique, avant que ne commence un deuxième round sans musique mais avec bruitages humides et explicites.

- une bande son qui alterne entre calme plat où seuls les dialogues résonnent et moments musicaux à base de synthé et de guitare (un truc pas loin de la BO de FF7 plutôt sympa)

- la scène d’amour qui contiendrait les mots clés threesome et handcuff la plus romantique du moment.

- un traveling avant sur un plan large et statique

- des scènes de repas, de beuveries et un peu de sexe hétéro filmé sans passion qui rappellent Hong Sang-soo (on parle de plus en plus de lui d’ailleurs, preuve qu’il doit bien incarner quelque chose)

- un délire chelou sur l’homosexualité, les gênes altruistes et les gênes égoïstes (d’ailleurs ce moment de philosophie profonde frappe le personnage pendant qu’elle fait la vaisselle ou le ménage)

- une très jolie scène métaphorique de danse au coucher de soleil sur la plage, interrompue brutalement par un coup de feu imaginaire (la narration complexe qu’on aime c’est plus ça que le bordel temporel qu’on nous sert à certains moments)

- des arrêts sur images et des intertitres rythmant la narration en l’interrompant (un concept intéressant)

- une scène qui doit être hautement symbolique mais qui aussi parfaitement dégoutante où Ji-woo embrasse son amoureuse entre deux relents de vomi.

- beaucoup trop de plans statiques avec des gens qui parlent longtemps en restant assis.

Le tout donne un sacré bordel, une plongée au cœur d’une certaine psychologie féminine à tendance mélancolique et au rythme incertain. Avec plein d’idées, plein d’écharpes, et une actrice vraiment pas mal (Kim Hyo-jin) que l’on retrouvera rapidement dans L’Ivresse de l’Argent de Im Sang-soo.

Enfin laissons le mot de la fin à l'avis express d'Elizabeth Kerr du Hollywood Reporter : "Three women explore the idea of love and the expectations placed on women in the lesbian romantic drama "Ashamed." Director Kim Soo-Hyun's second feature doesn't always work, but if he continues to write empathetic women he could become the Pedro Almodovar of Korea."

Voilà Pedro, t'es prévenu. 

 

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J
Yep, s'il faut prendre position (et effectivement dans ce cas c'est plus pertinent), je dirais présent aussi. Mais en fait, en bon normand que j'aspire à être, je perçois surtout le cinéma comme un<br /> mélange des deux. Le terme de réminiscence, me parait pas mal, j'explique.<br /> <br /> Le film est vécu au présent, par le spectateur, là dessus on a la même position, en fait c'est peut-être même le regard du spectateur qui définit la temporalité. Par exemple, et même si c'est<br /> anecdotique, un historien du cinéma regardera principalement le film comme une oeuvre du passé. De même pour ceux qui essaieront d'établir un lien entre le film et l'époque, ses courants<br /> artistiques ou ses évènements historiques. On pourrait arguer que c'est tout de même une expérience vécue au présent, mais dans ce cas là tout est présent (ce qui ne me parait inconcevable<br /> d'ailleurs) et la notion même de traces du passé devient problématique. Passons, comme tu le dis ce n'est pas vraiment la même question.<br /> <br /> Le film est donc généralement vécu et perçu au présent par le spectateur mais, pour moi, subsiste toujours le lien avec le passé : dans ce qu'il y a d'irrémédiable dans le récit et dans ce qu'il y<br /> a de construit dans la narration.<br /> <br /> En gros, on sait très bien que le destin des personnages est écrit et achevé, il ne changera jamais, et même si on vit leur histoire au présent, on n'oublie pas que tout est déjà écrit et acté.<br /> C'est d'ailleurs l'un des enjeux et des ressorts de l'écriture et de la mise en scène que de nous faire oublier au moins à moitié cet aspect là, et pour cela la complicité du spectateur me semble<br /> indispensable. On sait très bien que James Bond ne va pas mourir, on accepte de trembler avec lui mais ça ne veut pas dire qu'on l'oublie. Evidemment cet exemple ne s'applique pas à tous les films,<br /> mais la notion même de fiction reste toujours un échappatoire possible pour le spectateur. Dans un film d'horreur, on peut ainsi essayer de se raisonner en se disant que c'est "du faux". Pour moi<br /> ces aspects là, même s'ils interviennent après l'idée principale d'expérience vécue dans un présent complice, méritent quand même d'être pris en compte.<br /> <br /> Ensuite, il y a évidemment la notion de récit construit qui pour moi rappelle sans cesse les liens avec le passé. L'histoire n'est racontée qu'une fois, elle est entendue de milles façon<br /> différentes, et cela fait autant d'expérience au présent avec un écho du passé. La caméra qui change de place, les ellipses, la narration, tout ça à quelque chose de définitif et seul le passé peut<br /> l'être (sentence complètement casse gueule tant le sujet est vaste). Certains utilisent d'ailleurs le plan séquence pour combattre cet aspect là, même s'il s'agit plus d'une fuite ou d'un écran de<br /> fumée tant on sait à quel point cela demande de la précision dans la mise en scène. Il y a des exceptions, le plan fixe de 10 minutes de Funny Games a quelque chose d'extrêmement présent pour<br /> moi.<br /> <br /> Dans la même veine, un film est aussi plein de "traces" du passé. Que ce soit ce qu'il y a dans le film (acteurs décédés, décors détruits, époques reconstituées) ou ce qui fait le film (façon<br /> d'éclairer, technologies utilisées, style de mise en scène).<br /> <br /> D'où l'idée pour moi d'un souvenir qui n'est pas vécu comme tel, un souvenir qui ne passe pas par la mémoire et dont on en contrôle pas le défilement, un souvenir qui vient de l'extérieur et qui<br /> est vécu au présent.
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E
JMS > Même en étant solide sur le sujet je doute qu'on puisse se prononcer de manière catégorique. Le cinéma est multiple, patata, ce genre de truc. Du coup il est sans doute plus pertinent de<br /> prendre position, idéologiquement j'ai envie de dire :<br /> - Dire que le cinéma est au passé, c'est dire que ce qui est réel c'est ce qui est filmé et que l'expérience de spectateur est de lire les traces de cette réalité captée ;<br /> - Alors que dire que le cinéma est au présent, c''est dire que ce qui est réel c'est la perception du film par le spectateur.<br /> <br /> (ça n'empêche pas que certains films soient "conjugués au passé", mais c'est plus la même question)
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J
Je suis assez d'accord même si j'ai trouvé qu'elle marchait sur une dualité "feinte de Hong Sang-soo" / "Bobby de Niro dans ta face" aussi risquée que réussie.<br /> <br /> Sinon j'aime beaucoup la danse sur la plage, c'est dommage qu'on alterne avec les plans de photos sous marines que j'ai pas vraiment trouvé très réussies.
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T
La scène de beuverie dans le restaurant chinois est vraiment la meilleure scène du film ! J'aimerais même la revoir.
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J
Argh oui c'est aussi une façon de le voir (je voulais pas faire une parenthèse trop longue!). Si je devais me prononcer je pense que je dirais que c'est un peu des deux : un passé vécu au présent,<br /> un peu comme la réminiscence d'un souvenir, mais je me sens pas assez solide sur le sujet pour me prononcer de manière catégorique.
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