Petits traités sur le cinéma coréen par Sans Congo et Joy Means Sick. Blog critique cinéma asiatique
Ashamed, Kim Soo-Hyun, 2011
Ashamed, c’est déjà un plaisir coupable à la base, un film qui te drague avec une bande annonce improbable, une musique qui titille nos papilles d’ados des années 90 et un festival d’écharpes façon arc-en-ciel, le double rainbow perso de notre poto Insecte Nuisible. Dans la salle on nous présente le réalisateur comme quelqu’un qui aime s’appuyer sur une narration complexe et une forme ouverte et au final ça semble suffisamment neutre et précis pour caractériser le film. Par exemple, Memento c’est une narration complexe, mais pas une forme ouverte, et du côté de la narration simple avec une forme ouverte, y a peut-être le cinéma de Kitano. Vous dire qu’au milieu des deux y Ashamed, ce serait quand même vous prendre un peu pour des cons.
En gros, c’est une histoire de flash-backs incessants mais pas chronologiques et faut s’accrocher pour faire de même avec les différents wagons de l’histoire. Il ne s’agit pas de remonter le fleuve comme dans Peppermint Candy, mais de sonder une sorte de lac de souvenirs par à-coups successifs. Du coup pour relater tout ça dans l’ordre (du film) c’est un peu galère, autant le faire dans l’ordre chronologique parce que malheureusement, on ne peut pas dire que les différentes strates chronologiques se nourrissent beaucoup entre elles ou en tout cas pas de manière inattendue. Du coup on va la faire en mode cours de physique de lycée.
A t=0 (soit le temps présent du film même si certains s’indigneront en rappelant que le cinéma est toujours au passé), c’est l’histoire d’une prof d’art qui cherche une modèle qui puisse à la fois émoustiller son imagination et battre des records d’apnée. On apprend plus loin dans la film la raison de ce qui transforme en casting sauvage dans un sauna du coin : marquée par un fait divers - l’histoire d’une future mère tuée d’un coup de fusil et dont que le bébé aurait continué de remuer de longues minutes après sa mort – elle s’est mise en tête de faire une séance photo sous-marine, genre d’allégorie du fœtus, de la vie et de la mort. Elle arrête son choix sur Yoon Ji-woo, la pote d’une de ses étudiantes un peu rebelle, et on a nos trois personnages principaux de t=0 qui se barrent à la plage et qui, à cause d’un climat peu clément, vont devoir papoter en attendant de plonger.
A t=-1, c’est l’histoire résumée dans le synopsis du site du festoch, une sorte d'exploration du passé de Ji-woo qui s'articule autour d'une romance lesbienne : « Yoon Ji-woo est employée dans un grand magasin. Son travail ne l’enchante guère, et sa vie privée n’est pas beaucoup plus joyeuse. Un jour après le travail, alors qu’elle pense au suicide, elle jette un mannequin du toit de son magasin pour regarder sa chute. Kang Ji-woo est quant à elle pickpocket dans le métro. Un jour, elle se fait surprendre par un policier en civil. Alors qu’elle tente de s’enfuir en voiture avec un complice, sa voiture heurte le mannequin tombant du ciel. Les deux jeunes femmes finissent ainsi menottées ensemble. »
Et le film, ben c’est une sorte d’allers-retours permanents entre les deux espaces temporels, rien de foufou a priori si le réalisateur n’avait pas décidé qu’entre t=0 et t=-1 il s’amuserait comme un petit chenapant à naviguer partout et souvent sans prévenir, attitude gaillarde mais pas vraiment condamnable, comme disait feu Robert Bresson dont les Notes sur le Cinématographe sont en soldes permanent chez Gibert : « créer ce n’est pas inventer des choses totalement nouvelles, c’est tisser entre deux choses préexistantes des liens nouveaux ». Faite de mémoire, la citation est plus qu’inexacte mais l’idée s’applique bien au travail de déconstruction et de montage opéré par Kim Soo-hyun dans Ashamed.
Au milieu de tout ça, on remarquera (dans une liste pas forcément très complexe mais au moins ouverte) :
- une interminable discussion dans un restaurant chinois qui finit heureusement par partir en cacahuète et se ponctue par un magnifique « you fucked my wife ? », « Is my son your son ? », « Am I your fucking son too ? » (évidemment en coréen, ça c’est les sous-titres qu’on avait) qui laisse entrevoir un potentiel de dialoguiste trop peu exploité.
- quelques zooms qui heurtent les mirettes et dont on n’ose pas penser qu’ils rendent hommage à HSS
- sûrement l’une des photographies (de Kim Ji-eu) les plus réussis du festival (pour l’instant), avec des gros plans parfois étonnamment bien léchés et une variation de styles et de palettes qui n’enlève rien à la cohérence du tout (au niveau de l’image hein) : couleurs pastels sur la plage, intérieurs et nuits chaudes près du monastère, filtres doux et teintes désaturées sur la première scène d’amour, ton gris-brun lors de la fuite dans la forêt, couche verdâtre qui accompagne la décrépitude de leur relation…
- une scène d’amour lesbienne filmée d’abord de façon lente et pudique, avant que ne commence un deuxième round sans musique mais avec bruitages humides et explicites.
- une bande son qui alterne entre calme plat où seuls les dialogues résonnent et moments musicaux à base de synthé et de guitare (un truc pas loin de la BO de FF7 plutôt sympa)
- la scène d’amour qui contiendrait les mots clés threesome et handcuff la plus romantique du moment.
- un traveling avant sur un plan large et statique
- des scènes de repas, de beuveries et un peu de sexe hétéro filmé sans passion qui rappellent Hong Sang-soo (on parle de plus en plus de lui d’ailleurs, preuve qu’il doit bien incarner quelque chose)
- un délire chelou sur l’homosexualité, les gênes altruistes et les gênes égoïstes (d’ailleurs ce moment de philosophie profonde frappe le personnage pendant qu’elle fait la vaisselle ou le ménage)
- une très jolie scène métaphorique de danse au coucher de soleil sur la plage, interrompue brutalement par un coup de feu imaginaire (la narration complexe qu’on aime c’est plus ça que le bordel temporel qu’on nous sert à certains moments)
- des arrêts sur images et des intertitres rythmant la narration en l’interrompant (un concept intéressant)
- une scène qui doit être hautement symbolique mais qui aussi parfaitement dégoutante où Ji-woo embrasse son amoureuse entre deux relents de vomi.
- beaucoup trop de plans statiques avec des gens qui parlent longtemps en restant assis.
Le tout donne un sacré bordel, une plongée au cœur d’une certaine psychologie féminine à tendance mélancolique et au rythme incertain. Avec plein d’idées, plein d’écharpes, et une actrice vraiment pas mal (Kim Hyo-jin) que l’on retrouvera rapidement dans L’Ivresse de l’Argent de Im Sang-soo.
Enfin laissons le mot de la fin à l'avis express d'Elizabeth Kerr du Hollywood Reporter : "Three women explore the idea of love and the expectations placed on women in the lesbian romantic drama "Ashamed." Director Kim Soo-Hyun's second feature doesn't always work, but if he continues to write empathetic women he could become the Pedro Almodovar of Korea."
Voilà Pedro, t'es prévenu.