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30 juin 2013 7 30 /06 /juin /2013 14:41

 

choieunhee

 

Le pays du coeur (Hometown in my Heart), de Yun Yung-gyu (1949)

 

Ainsi va la vie dans la cambrousse, les traces y creusent des sillons, les feuilles bruissent tous les quarts d’heures ; les jours se ressemblent, l’inconnu qui passe est une excentricité en soi. Ajoutez un temple bouddhiste bâti à flanc de montagne, et vous avez entre les mains la carte postale poussiéreuse des restes du royaume Ermite.

 

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Le pays du cœur – ça ne s’invente pas – raconte l’histoire du petit Dong-so qui a été abandonné par sa mère aux moines du temple. Ces derniers ne manquent pas d’entretenir en lui le souvenir de sa mère qu’il finit par associer à l’image de Séoul où elle se trouverait. Avec la sérénité et l’évidence sédimentées des siècles durant, l’enfant s’adonne aux activités de moine en devenir entouré de la franche camaraderie de ses pairs. Un beau jour, deux femmes de la famille Ahn, bienfaitrices du temple, perturbent cet équilibre subtil. Elles viennent organiser la sépulture de Jong-bo, le fils de l’une d’entre elles (jouée par la grande star Choi Eun-hee, épouse de Shin Sang-ok). Pas une ni deux, notre ami se lie d’affection pour la malheureuse.

 

Après Vive la liberté, qui traite de la résistance coréenne face au Japon (cf. la chronique de Marc L’Helgoualc’h), le public coréen commence à trouver de l’intérêt à cet objet relativement discret qu’est le cinéma d’alors. Souffrant d’un manque de moyens, les années 1945-1950 marquent tout de même le début d’une culture de masse. Malheureusement, il reste peu de choses de cette époque.

 

La quasi-totalité des films tournés entre 1919 et 1945 ont disparu, tandis qu’une poignée de films tournés entre 1945 et le début de la guerre de Corée nous sont parvenus, dont Le Pays du cœur. Cette heureuse fortune est le résultat inespéré d’un programme d’échange cinématographique entre la France et la Corée qui vit une copie du film de Yun Yung-gyu atterrir au vingt-troisième sous-sol d’un musée de Navarre. Rare film à avoir traversé le bûcher de la guerre, nous devons donc cette copie au flair inattendu de nos diplomates qui, par-delà leur maîtrise irréprochable de la syntaxe et leur ignorance complète du genre humain, ont su employer leurs heures de oisiveté de manière bénéfique.

 

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Le réalisateur n’a réalisé que ce film avant de passer en Corée du nord. La légende voudrait qu’il se soit reconverti dans l’arrachage de dents – d’où World War Z, la boucle est bouclée –. Considéré comme un gauchiste de basse extraction par le régime de Rhee Syngman, président sud-coréen après la guerre – celui-là même qui exempta le cinéma et le théâtre de toute imposition pour encourager la production –, Yun Yung-su se vit contraint à l’exil, accompagné des années plus tard par Choi Eun-hee, kidnappée avec son mari sur les ordres de Kim Jong-il, à propos duquel on ne répètera jamais assez qu’il fut un grand cinéphile.

 

Dong-so s’entiche de la mère de Jong-bo donc, qui le lui rend bien. Une sombre histoire de transfert tout ça. Avec un semblant de prémonition, on y trouve la remarquable idée anti-œdipienne d’après laquelle le désir n’est pas une scène de théâtre mais bien plutôt une machine. Le désir que ressent Dong-so face à la beauté classique de Choi Eun-hee a quelque chose d’un délire alliant position sociale, géographie et filiation. Il l’associe à un amour maternel qu’il n’a pas reçu, à une réussite sociale qu’il envie ; d’une manière général, à un swagg qu’il s’imagine revêtir.

 

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cette tristesse que seul le doux contact de ta poitrine pourra consoler

 

Solitaire, fin et enjoué, il interprète, tel un prédateur en quête d’un carnage, les signes laissés par sa proie. Un éventail utilisé par Choi Eun-hee est élevé à la dignité de sainte relique. Il se fait une mission de chasser plusieurs oiseaux pour en faire une réplique : une véritable incarnation de son désir. Ces mêmes signes contribueront à l’embrumer lorsqu’il trouvera, par l’intermédiaire d’un chapelet, la voie vers sa véritable mère.

 

S’inscrire dans la rétine comme situation normale. Si Akhenaton avait quelque chose à nous apprendre, ce serait bien cela. L’image de Choi Eun-hee est progressivement incorporée dans la routine des pas de notre ami haut comme trois pommes. C’est de l’usure du quotidien que s’ouvre l’échappatoire : métaphore remarquablement explorée par le réalisateur qui fait apparaître une vignette contenant l’image de la mère rêvée sur le livre de prière du jeune garçon. Incursion préfigurant le montage pop qui n’en est qu’à ses balbutiements.

 

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effet windows movie maker pour skyblog mais on apprécie l'effort

 

Animal fougueux et sympathique, passablement tarabusté par une coterie de chenapans proto-petits-bourgeois, Dong-so est une petite Corée turbulente qui file droit vers son destin – Séoul ou la guerre –. Les quelques larmes de crocodiles attendrissantes qu’il laisse s’échapper aux détours de plans résiduels qu’on imagine avoir été fastidieux à tourner font immanquablement penser à l’intenable Ivan du chef-d’œuvre de Tarkovski.

 

La grande réussite de ce film réside dans une économie de sentiments judicieusement contenue dans un expressionnisme formel tracé à l’équerre et au compas. Cette rigueur géométrique fut saluée à l’époque de la sortie du film. Peu de déchets, du muscle et de l’élan, le film glisse tranquillement au gré des détours du garçon, symbolisés par les sentiers étroits qui traversent les alentours du temple. A quelques exceptions près, le film est dépouillé du sentimentalisme un tantinet épais qui tâche habituellement le cinéma sudco comme du mauvais vin.

 

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Une droite s'enfonce dans une courbe : une belle subduction dirait-on en géologie

 

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conservatisme, ordre et virilité : un triangle symbolisant la stabilité

 

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la très classique diagonale : élan, dynamique et envolée

 

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cette manie étrange qui pousse à se jeter sur le tronc d'un arbre pour chialer : légère courbe verticale type roseau qui plie, mélancolie et regret

 

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la bande qui rejette Dong-so se coagule à l'image du petit rocher à droite : être-à-plusieurs

 

 

 

Le pays du cœur est une histoire de détachement, fidèle aux préceptes du bouddhisme. Une lecture intéressante proposée par Adam Hartzell, à qui on reprochera tout de même une regrettable inclination à l’endroit de l’œuvre d’Hong Sang-soo. Se détacher, sortir de, ce sera finalement le destin du Dong-so. Culture du désespoir oblige, on ne peut s’empêcher de penser qu’il sera le comptable souffreteux et épuisé d’Une balle perdue.  

 

 

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