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2 novembre 2012 5 02 /11 /novembre /2012 23:13

Helpless, Kim Soo-hyun, 2012.

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« Aussitôt vu, aussitôt oublié. Long et fade ». Bim prend ça dans ta face, East Asia et Julien Thialon ont parlé. Le ton est sec, le verbe exclu et la marge pour une réponse réduite au maximum. Deux adjectifs et autant de certitudes déguisées en impressions : bienvenu dans le monde de la critique tweet décomplexée où tu bâches en deux phrases et sept mots près de quatre ans de boulot et quelques millions d’euros. Une question de goût ? Ouais mais moi par exemple, j’aime pas le camembert et je fais pas chier les gens avec ça, je dis pas que c’est mauvais, que ça pue et que ça dégouline. Rien de personnel là dedans, seulement si on se met à édifier en travail professionnel le simple déballage d’impressions et de goûts personnels, y a moyen que ça finisse par tourner chocolat.

Surtout, Helpless ne répond à aucune des adjectifs pré-cités. Long à la limite ça se discute, le film dure 117 minutes et c’est sûr qu’en cas d’incontinence prononcée (au hasard) ça peut paraître un peu long. On est au-delà du standard débile des 90 minutes donc pourquoi pas, d’un point de vue absolument relatif, le film peut être considéré comme long. Il pourrait aussi être court, au fond on s’en tamponne. Ennuyeux, interminable, soporifique auraient au moins eu le mérite d’y associer un point de vue personnel. « Long » c’est finalement un adjectif assez neutre dont la perception dépend éminemment du contexte. "Fade" par contre ça parait plus difficile à avaler quand il s’agit de caractériser le film de Byung Young-joo. Le terrain est glissant car l’adjectif s’applique au film dans son ensemble, on ne sait donc pas si ce sont les personnages, le scénario, la mise en scène, l’image ou bien même le son qui ont reçu la sanction de « fade » (même si on imagine bien que c’est un peu de tout ça à la fois). A ce moment là de l’article, la rédaction tient à préciser qu’il n’y a ici aucune attaque personnelle, juste une tentative d’analyse critique d’une attitude journalistique qui nous semble peu appropriée et dangereuse. M. Thialon est sûrement un chic type, il place d’ailleurs la trilogie de la vengeance de Park Chan-wook dans son top trois cinéma de son questionnaire proustien, signe incontestable que c’est un gars bien et qu’il ira loin dans la vie.

 

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En tout cas tout le monde n’a pas aussitôt oublié le film en sortant de la salle, l’effet Pizza Mimmo cher à Kassowitz fonctionne et on se retrouve à plusieurs à remettre de l’ordre dans les détails de l’intrigue que l’on vient de nous proposer. Il parait que Byung Young-joo a planché pendant trois ans sur le scénario et même sans avoir lu le best-seller japonais dont il est l’adaptation, ça ressemble quand même pas mal à une franche réussite. A l’image d’un Memories of Murder, on y retrouve une impeccable gestion des temps morts et des hésitations propres à toute enquête plus ou moins policière, ici ponctuée d’accélérations soudaines ou de pétages de plomb au milieu d’un village pommé. Au deux extrémités du film, pas de bouts de gras, ça démarre en deux minutes sur l’aire d’autoroute où Kang Sun-young disparaît et ça se termine sans épilogue au 5ème étage d’un parking. Entre les deux, deux enquêtes en parallèle se croisent et s’affrontent : celle de Jang Mun-ho, le fiancé délaissé, et celle Kim Jong-geun, son ex-policier de beau frère qu’il engage pour retrouver sa meuf. La première se joue principalement sur le terrain des sentiments et des souvenirs et elle affronte des certitudes mis à mal par les faits. La deuxième se veut plus professionnelle et plus pragmatique. Plus suspicieuse aussi. Rapidement les deux s’accordent sur un fait : elle s’est enfuie sans laisser de traces et ne compte pas revenir. Il s’agit désormais de découvrir qui elle est vraiment et pourquoi elle agit de la sorte.

 

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Le film est une enquête psychologique, un thriller sans gunfights où la dramatisante pluie de la scène d’ouverture laisse bientôt place à des tons clairs et effacés. L’ombre c’est le passé de Kang Sun-young, pas celle qui abrite les assassins et menace les personnages. On ne voit que des très peu de sang, sauf au détour d’une scène assez sublime où le beau frère s’imagine un meurtre : une femme sort d’une salle de bain en glissant dans l’eau mêlée de sang, tremblante d’adrénaline, elle tente de retirer ses gants et de se calmer avant d’y retourner. La caméra s’attarde alors sur un papillon les ailes engluées dans une flaque de sang. L’image est belle, le montage et le découpage de la séquence parfaitement maitrisés et le tout ne sera évidemment pas « aussitôt oublié » par tout le monde. Autre fait notable, l’enquête se déroule de manière ouverte et honnête, le spectateur (s’il sait lire le coréen) est à égalité avec les personnages et peut librement mener l’enquête dans sa tête : ici pas de plan de personnage ayant une révélation en tenant dans ses mains une photo que l’on ne voit pas.

 

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A quelques exceptions près, il n’y a quasiment pas d’action, en tout cas dans la temporalité du récit. Les éclats de violence et d’adrénaline se passe dans la tête des enquêteurs qui tentent de reconstituer les faits, passages où la réalisatrice prend un malin plaisir à faire concorder les deux temporalités avec un jeu de montage et de mise en scène encore une fois savamment orchestré. Au risque de paraître sexiste, on se demande aussi si l’une des particularités du film n’est pas qu’il soit écrit et dirigé par une femme, chose plutôt rare pour un thriller. On ne s’attarde en tout cas pas sur les mêmes éléments qu’à l’accoutumée, on ne ressent pas l’habituelle violence sombre qui accompagne les crimes de sang mais plus une envie de comprendre, d’explorer un personnage principalement absent. C’est peut-être aussi l’une des clés de l’équilibre du film : si l’enquête est menée par deux hommes, il est borné par deux femmes invisibles : l’une fictive que l’on cherche, l’autre réelle qui orchestre.

 

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Si l’on s’attache aux détails du film, il n’y a pas beaucoup de fausses notes et de nombreux moments de brio : des passages avec un montage rapide et un découpage précis et elliptique (l’entrée du beau-frère dans la société pharmaceutique, les scènes de reconstitution mentale), une bande-son qui mêle subtilement ambiance sonore et musique souvent composée d’instruments aux teintes traditionnelles (assez proche de ce qu’utilise Na Hong-jin), ou encore une scène finale qui fait écho à L’Impasse de De Palma et qui utilise sans facilité l’inéluctabilité d’un escalier mécanique. Pour les fans, y a même une écharpe rouge au détour d’un plan. Ceci étant dit, dans les grandes lignes et dans l’ensemble, c’est vrai qu’on ne retrouve pas l’épique et la démesure des films de Park Chan-wook, ou d’autres maitres coréens du genre, et c’est sûrement cela qui a manqué à notre ami Julien, un être passionné qui vit de tout ou rien et qui a sûrement placé Oldboy au sommet de son panthéon personnel. Mais ce n’est aussi certainement pas l’objet du film ni son intérêt. Le terme de thriller correspond d’ailleurs assez mal à Helpless dont l’enquête se déroule en décalage par rapport aux faits. Il s’agit de fouiller les registres et les souvenirs pour cerner l’absence et les contours de la trajectoire d’une fille pourtant toujours en vie. C’est un cheminement à la fois personnel et policier, un tableau peint par petites touches et sans pluie ni nuit menaçante.

 

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En plus de tout cela, le film était projeté en pellicule est aujourd’hui c’est presqu’un événement. C’est aussi l’occasion de constater que mine de rien ce n’est pas exactement la même chose que le numérique et d’excuser les maigres aléas de la projection (mauvais cache au début du film donc mauvais format, coupure au milieu). Alors voilà pour nos avis à Chaw à nous, ça peut paraître prétentieux mais participer au festival c’est en faire un peu plus que deux lignes et (ô malheur) une note sur cinq, surtout quand on sait que d’autres se sont échinés des mois durant pour proposer une belle sélection, qu’une sympathique équipe de bénévoles est là dans la nuit noire et froide pour vous accueillir et que notre amie la responsable des accréditations porte le deuil de l’ordinateur qu’elle avait prêté pour projeter les sous-titres de Two Doors. Non franchement c’est pas cool. Non, non et non.

 

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PS : les images du film trouvées sur internet n'illustrent pas forcément les propos, de l'article c'est l'occasion d'être modeste et de relativiser l'impression laissé par le film, mais aussi de rappeler qu'entre la compression, la numérisation et le passage par votre écran, les contrastes et les couleurs ont subis des changements conséquents, sans parler du recadrage. Helpless est aussi présenté et vendu comme un polar sud-co, et ce n'est pas un hasard si l'on retrouve sur internet des images allant dans le sens d'un film à la The Chaser et autres Memories of Murder.

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commentaires

J
Et attendez que je vous parle des huitres et des choux de bruxelles, je vais pas me faire que des potes !
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I
Ooooooh... Give me five JMS ! Yeah ! T'as pas pu écrire ça. Quel mec ! Un grand respect pour ce type. P*tain, faut en avoir un paquet dans la culotte. Faut se laisser emmerder par personne. Et si<br /> t'aimes pas le camembert, c'est ton droit !
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D
OUais eh bah puisque tu le dis, moi aussi je me lance et je le crie haut et fort : j'aime pas le camembert non plus !! La vache, ça fait du bien de le dire.
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