Fiche technique sélective :
Réalisation et scenario : Jang Cheol-so, on répète sans cesse qu’il était assistant de Kim Ki-duk sur L’Ile, le lien est certain mais le bonhomme n’a vraiment pas besoin qu’on associe un autre nom prestigieux au sien.
Casting :
- Seo Yeong-hee (Bok-nam), victime dans The Chaser, victime dans Bedevilled, elle finit par péter les plombs méchamment. En plus elle joue super bien, stylée.
- Ji Sung-won (Hae-won), première apparition, froide comme la banquise, il fallait au moins une masse de 10kg pour briser sa glace.
- Baek Soo-ryeon, la grand-mère de Dong-ho selon Hancinema.net, sauf que Dong-ho... m'est inconnu, la grand-mère donc, insupportable et donc très forte.
- Lee Jee-eun (Yeon-hee, la fille de Bok-nam) : à 10 ans elle fait bonne figure au cœur de cette violence sourde et place quelques répliques stylées.
"T'as mal? Beaucoup? Attends un peu je vais te mettre de la pate de soja."
Cher Marquis de Saint-Congo,
Comme vous l’avez certainement remarqué, nous n’avons pas eu le loisir de nous voir ce samedi chez la duchesse de Savoie où votre dévoué brillait par son absence. La faute en revient à un excès de boisson la nuit dernière. Je célébrais par avance votre retour et me suis perdu dans les tourbillons de la nuit, vous m’en voyez terriblement chagriné. Paris, ses filles et ses lumières mon ami… Un soiffard fort agréable, à qui j’offrais un modeste verre de liqueur, m’indiqua d’ailleurs la déroute de votre équipe nationale face à des slaves dont le nom s’est perdu dans les vapeurs d’alcool. J’en fus bien peiné et pensais à vous, mon ami, que je sais fasciné par ces athlètes qui exercent leurs corps en courant autour d’un ballon. Comme à l’accoutumée, j’ai levé mon verre à votre santé.
Mais ceci n’est pas un courrier d’excuse et déjà je m’égare sur les sentiers tortueux des festivités parisiennes. Bientôt nous sillonnerons à nouveau tous les deux les rues animées où éclataient nos jeunesses, pour l’heure je souhaite vous parler de ma récente expérience cinématographique forum des Halles : Bedevilled.
Aux alentours de vingt-deux heures, je me rendis donc à l’Etrange Festival avec au bras ma dernière conquête qui, bien que n’étant pas native du royaume de Choseon, présente quand même des traits orientaux. L’accueil sur place fut courtois mais distant et bientôt nous nous retrouvions à faire la queue pour entrer dans la salle. Quelle désagréable expérience que d’attendre ainsi sur ses deux jambes cher Marquis. J’en profitais pour observer l’assemblée qui me semblait composée de jeunes gens pas toujours très recommandables mais en fort bonne santé et, à quelques exceptions près, peu bruyants. Dans la salle je croisais certains habitués de ce genre d’évènements, notamment ces bohémiens de la « Mad Team » emmenés par le désormais célèbre Rurik Sallé. L’un d'eux nous présenta le film comme « une démonstration sur la lâcheté humaine et ses conséquences », sentance un peu rapide mais fort à propos, et sa langue fourcha sur le nom du réalisateur. Les dix premières minutes du film nous craignîmes une erreur de placement de notre part. Nous étant assis au deuxième rang face à un écran aux dimensions remarquables, il nous fut difficile de lire les sous-titres tout en gardant un œil sur l’action. Plus tard je m’habituais, plus tard encore certains laissèrent échapper des rires gras pour désamorcer une tension savamment mise en place par le chef d’orchestre du soir, le très prometteur Jang Cheol-so.
L’histoire en quelques mots éclairera ensuite mon propos. Hae-won (Ji Sung-won) est une demoisellle qui officie dans une agence de crédit à Séoul. Belle, glacée et égoïste, son personnage de citadine affairée est esquissé rapidement avec un trait que je je jugeai légèrement trop appuyé. Elle ferme la vitre de sa voiture, et les yeux sûrement, quand une jeune femme lui demande de l’aide et refuse ensuite d’identifier les meurtriers présumés qu’elle a « rapidement entrevus ». La lâcheté humaine sans doute, on entend toujours plus de sombres histoires d’agressions en public depuis votre départ. Quand le sang de certains bouillonne le cœur des autres se tétanise, nous vivons une époque difficile et les coréens aussi. Etriquée dans son costume de femme d’affaires et de marbre, Hae-won finit par craquer. Une baffe en public ardemment distribuée et elle est sommée de prendre des congés. Après quelques jours, quelques litres de bière brune, elle prend le chemin d’une petite île de pêcheurs-cultivateurs sur laquelle elle passait ses vacances plus jeune. Elle y retrouve Bok-nam (Seo Yeong-hee), son amie d’enfance qui l’attend avec impatience. On comprend rapidement pourquoi : le quotidien de cette dernière l’oblige à se rouler chaque jour un peu plus dans la fange de l’humanité. Pendant près d’une heure Jang Cheol-so s’applique à tirer sur la corde sans jamais s'interrompre ni la rompre et la tension grandit jusque dans des proportions terrifiantes. Avec un tel élan, le retour de flammes ne pouvait être que grandiose, je n’ai pas été déçu. Enfin pas avant quelques fausses notes en fin de spectacle, « film de genre » et « logique commerciale » obligent. Votre dévoué serviteur s’agace chaque jour du manque d’audace de nos talents les plus prometteurs. Hier soir son courroux, quoique bien émoussé par la qualité globale de l’œuvre, s’exerça sur l’épilogue moral, le duel final et la petite chanson au pipeau…Notre scenariste et réalisateur du jour réussit tout de même ce tour de force qu'il s'agit de souligner encore une fois : avec une première partie de spectacle tout en violence sourde, en cris étouffés et en psychologies étudiées il légitime admirablement une seconde partie où le sang bouillone et jaillit dans une débauche de fureur inouie.
Cette soirée fut pour moi l'occasion de constater que les échos des pièces de l'illustre William Shakespeare résonnent encore et frappent désormais aux portes de royaumes inconnus. Je versai une larme en récitant Mac Beth, "Will all great Neptune's ocean wash this blood clean from my hand? No, this my hand will rather the multitudinous seas incarnadine, making the green one red", et décidai de classer Bedevilled parmi les œuvres de la plus haute facture. A son arrivée sur l’île, Hae-son marque un contraste flagrant avec Bak-nom, son amie bien plus bronzée, bien plus souriante et bien plus malheureuse. « Smile while you are bleeding » disait K’naan un troubadour nègre de l’Empire britannique. Le jeu d’opposition qui commence à la couleur de la peau se poursuit ensuite : vêtements, accessoires, coupe de cheveux, situation familiale, expressions des visages. Avec la fin de la dictature, militaire qui frappa leur pays, les coréens réalisèrent abondance de films avec pour thématique un personnage quittant sa campagne natale pour s’aventurer et s’enrichir à Séoul. Ici c’est le retour de l’élue et deux fantasmes qui s’affrontent entre eux et à la réalité: Hae-son vient chercher le calme sur l’île, Bak-nom n’a qu’une idée en tête : rejoindre Séoul et ses paillettes, et sa justice. On concèdera néanmoins à cette dernière qu’elle a bien d’autres raisons de vouloir changer de paysage. Reste qu’elle admire profondément Hae-son. « Les mecs doivent tourner autour de toi comme des mouches sur un cadavre non ? » selon la traduction, quelle belle langue que la votre mon ami.
J’aimerais aussi vous dire deux mots de deux personnages qui m’ont particulièrement marqué. La grand-mère et la petite fille, deux extrêmes de la vie qui, progrès scientifique aidant, m’ont inspiré cette réflexion sur la reproduction. Voyez-vous cher ami, il me semble que nous avons négligé la force du mot. La reproduction ne se limite pas à l’acte sexuel et sa finalité biologique. C’est un phénomène qui survit à la naissance avec l’impression au fer rouge de certains comportements dans les esprits les plus faibles. Tradition, continuité, héritage, tant de mots qui blessent mes oreilles que vous savez libérales et me rappellent que mon retour sur les terres bretonnes est toujours plus lointain. Si la petite enfant veut plaire aux hommes de l’île et faire comme les autres femmes, c’est surtout ce personnage, qu’à défaut de termes plus précis, je nommerai grand-mère qui m’a frappé. Son langage fleuri d’abord « la bite de ton mari est dans un autre trou » ou plus subtile « casse lui les jambes, c’est comme ça qu’il faut faire aux femmes ou aux chiens qui fuient la maison ». Un langage poétique et pragmatique et un comportement de tortionnaire raisonnable, parce que c’est pour le bien des autres, c’est l’expérience qui parle. Une rage toute meutrière me caressa l'échine à chacune de ses apparitions.
Afin de rendre un peu plus précis le tableau de cette île paradisiaque, je me dois d'ajouter que la plupart de ses habitants mâchent de « l’herbe à crétin ». C'est un élément qui augmente efficacement la tension dans la première partie de l'oeuvre mais que l’on en vient presqu’à regretter par la suite. Voyez-vous, cela pourrait être pris comme un élément d’explication quant aux comportements abjectes qui nous sont présentés, excuser l'humain et saper le propos du film. Enfin dans cette bassecour il ne faudrait pas oublier les « mâles », qui n’ont jamais été aussi proche du « mal ». Violents, violeurs, tyrans, avec son mari et son beau-frère Bok-nam vit un véritable conte de fée. Qu’elle soit cocue n’en est alors plus qu’anecdotique. Avec votre esprit sagace vous aurez bien compris que cela ne peut durer qu’un temps. Certes il faudra bien plus qu’une goutte pour faire déborder le vase mais quand Bok-nam n’aura plus rien à perdre, il lui suffira de se baisser pour ramasser sa faucille pour découper les mauvaises herbes.
Je note au passage qu’il est urgent que nous nous entretenions au sujet des outils dans le cinéma coréen : la faucille puis la masse ici, le divin marteau de Oldboy et le kit du bricoleur de The Chaser, quelque chose se trame.
Un modeste paragraphe sur la forme avant de conclure. Caractérisée par des plans toujours serrés et un paysage relégué à l’arrière plan, Bedevilled se concentre comme un étau sur les personnages. Mais surtout les silences, les silences cher Marquis de Saint-Congo, quels silences terribles ! Ils vous prennent à la gorge et braque votre attention sur l’image et quelques bruits choisis avec précision. Si jamais vous avez l’occasion de voir ce film, je suis sûr que comme moi vous serez marqué à jamais par cette scène où Bok-nam lèche le couteau que tient son mari.
Voilà qu’il est bien tard et demain j’aurai le privilège de vous voir à la projection de No Mercy, c’est une nouvelle qui doit être fêtée dignement et bien accompagné.
Mon ami, j’espère que la capitale s’est vêtue de ses plus beaux atours pour vous accueillir et vous envoie mes salutations fraternelles.
Sir Alan Joy Greenpaths, Comte de Meanseek.
Paris, le 4 septembre 1782
BONUS
Pour commencer, Mad World, un jeu vidéo éducatif où pour faire des points il faut tuer les machants de la manière la plus violente possible. Par exemple, l'empaller avec un lampadaire, le coincer dans un pneu et lui découper les jambes avant de l'envoyer sous un train peut vous rapporter quelques dizaines de milliers de points. Très sympa sur Game Cube où le nunchak sert à manier la tronçonneuse du héros.
"Jeanneton prend sa faucille, larirette, larirette... "
Une comptine qui n'est pas sans lien avec Bedevilled. Si, si, je vous assure.
Deux tarés qui s'entrainent au combat à la faucille. Eux en une dans chaque main et vous proposent de les rejoindre pour prendre des cours.